Trois dépanneurs se confient à DepQuébec : la prochaine hausse annoncée VA FAIRE MAL

La hausse surprise du salaire minimum à 12$ (au lieu de 11,75$ comme prévu) annoncée la semaine dernière par le gouvernement Couillard a pris les dépanneurs au dépourvu, c’est le moins qu’on puisse dire.

Le Québec peut certes se compter encore chanceux de ne pas subir une hausse totalement insensée et démentielle comme en Ontario (qui passe de 11,60$ à 14$ de l’heure au 1er janvier pour ensuite bondir à 15$ l’an prochain), mais il reste tout de même que personne ne s’attendait à l’annonce de la semaine dernière.

Le gouvernement libéral avait en effet indiqué l’an dernier vouloir augmenter progressivement le salaire minimum et même offert des cibles pour les trois années suivantes, du jamais vu (11,75$ en 2018, 12,10$ en 2019 et 12,45$ en 2020 — voir l’article suivant).

De sorte que les détaillants se retrouvent avec une hausse de 6,7% de leur plus important poste de dépense, soit 0,75$ de l’heure à compter du 1er mai de cette année, ou plutôt 0,87$ de l’heure une fois les charges sociales ajoutées (16% en sus du salaire — voir section Salaire réel).

Quel sera l’impact de cette hausse? Comment les détaillants vont-ils composer avec une telle dépense additionnelle, sans aucun gain de productivité?  Vont-ils devoir sabrer dans des dépenses ou encore, tenter d’accroître leurs revenus et si oui, comment?

DepQuébec a tenté de le savoir en échangeant sous le couvert de l’anonymat avec trois véritables et authentiques propriétaires de dépanneurs et ce, afin de connaître leurs impressions sans filtre et surtout, l’impact de cette hausse sur leurs affaires.

Dépanneur 1 :  Couronne nord de Montréal

Pour ce dépanneur indépendant qui arbore une bannière connue, la hausse du salaire minimum coûtera au bas mot 6000$ en frais d’opération additionnels par année.

« Je prévois faire deux choses pour aller chercher ce 6000$ », de lancer le propriétaire. « Un : couper environ 10h de salaire par semaine et deux : augmenter la marge où je peux. »

Ce propriétaire dit vouloir prendre les hausses une année à la fois, comme pour les autres augmentations.

Mais selon lui, « c’est sûr qu’avec le temps, la marge de manœuvre diminue ».

Dépanneur 2 : Grande ville

Pour cet autre dépanneur indépendant, sans bannière mais qui offre de l’essence et une multitude de services connexes, la hausse du salaire minimum inquiète davantage car elle coûtera au bas mot, plus de 15000$ par année.

En effet, ce dépanneur offre plusieurs services et emploie 12 personnes en tout pour répondre aux besoins de la clientèle à la semaine longue.

Tout bien calculé, il dit rémunérer pas loin de 16000 heures par année en personnel au salaire minimum. La hausse représente ainsi environ 15000$ en coûts d’opération supplémentaire que le dépanneur devra réduire, compenser ou absorber d’une manière ou d’une autre s’il veut rester en affaire.

Or, les pistes de solutions sont assez restreintes pour le moment :

  • possibilité de restreindre les heures d’ouverture d’une demi-heure par jour, sept jours sur sept;
  • diminution du budget de publicité (mais est-ce une bonne idée?);
  • réduction du temps de travail.

Ce dernier indique que la compétition sur le marché est des plus intenses et que la hausse du salaire minimum affecte proportionnellement davantage les petits dépanneurs que les grandes surfaces étant donné que ces dernières ont des volumes beaucoup plus élevés.

« Lorsque nous engageons des étudiants qui vivent chez leur parent, ils trouvent le salaire bien assez élevés comme ça et ils aimeraient mieux travailler plus que d’avoir un meilleur salaire et travailler moins. Le gouvernement devrait songer à faire une distinction de salaire minimum entre les travailleurs à temps plein et les étudiants au travail », de souligner le propriétaire.

C’est peut-être une avenue à songer vu que le gouvernement entend continuer, selon toute vraisemblance, à vouloir augmenter le salaire minimum à un rythme de deux, trois, voire quatre fois plus élevé que l’inflation, ce qu’il fait depuis 10 ans.


Dépanneur 3 : Ville moyenne

Chez cette autre propriétaire de dépanneur qui affiche une bannière connue elle aussi, la proportion de travailleur au salaire minimum est moindre : on parle ici d’environ 7250 heures payées au salaire minimum par année.

En effet, plusieurs employés de confiance et ayant de longues années d’ancienneté gagnent davantage que le salaire minimum mais ont aussi des responsabilités accrues comme de fermer le magasin, superviser d’autres employés et autres.

À 0,87$ de l’heure de plus au salaire minimum, la propriétaire prévoit que cela coûtera la bagatelle d’environ 6300$ par année.

Une des préoccupations de celle-ci est le traitement des employés mieux rémunérés, qui gagnent environ 13, 14$, voire 15$ et plus de l’heure.

« Il faut que je pense à augmenter aussi le salaire des autres qui gagnent plus de la même proportion afin de garder mes employés en place et heureux et garder leur attachement à leur dépanneur », de souligner cette dernière. Je crains la jalousie et la perte de motivation pour ceux qui n’auraient pas d’augmentation ».

Par ailleurs, cette propriétaire craint l’impact des grandes surfaces et de l’effet domino de celles-ci sur ses propres fournisseurs.

« Étant sous pression des grandes chaînes, nos fournisseurs seront tentés d’augmenter davantage les prix chez les dépanneurs pour préserver leur gros clients », de souligner cette dernière.

Cette dynamique simultanée de hausses de coûts d’opération et de hausse de prix au détail n’augure rien de bon pour l’industrie, ce qui renforcera, selon elle, un mouvement de consolidation dans lequel les plus vulnérables disparaitront et les mieux établis se renforceront.

Pour compenser la hausse, la propriétaire entend augmenter sa marge sur des produits à coup de cinq cents par-ci par-là, en particulier lorsque les fournisseurs hausseront leurs prix, afin de ne pas trop éveiller l’attention et se distinguer de la compétition.

Merci M. Couillard, on s’en souviendra!

Cette hausse électoraliste du salaire minimum à 12$ — que rien ne justifiait par ailleurs — se traduit finalement en choix déchirants pour les dépanneurs où, nécessairement, ce sont les personnes que l’on voulait aider — les travailleurs — qui se verront pénalisés en premier puisque le gouvernement rend leur travail de plus en plus inabordable.

Ce qui est clair par contre c’est que l’industrie ne pourra pas indéfiniment subir ainsi des hausses de coût de main d’oeuvre de deux, trois, voire quatre fois l’inflation année après année sur 10, 20 ans, comme c’est le cas présentement.

Ajoutons à cela :

  • la lutte acharnée et sans merci que mène le gouvernement pour diminuer la demande de tabac;
  • son refus de confier aux dépanneurs la distribution du cannabis;
  • le déplacement des ventes de loteries en ligne et l’élimination des commissions aux détaillants sur les dites ventes (après les avoir accordées — voir article ici);
  • l’augmentation des tâches pour la vente de loteries;
  • la fardeau accru à venir de contenants à récupérer et de la consigne;
  • les hausses à venir des coûts de l’électricité (rattrapage);
  • la contrebande de tabac qui ne baisse plus;
  • les frais de cartes de crédits les plus élevés au monde…

…et vous concluerez comme nous, chez DepQuébec, que décidément, la coupe est pleine!

En terminant, méditons sur la bonne parole de la ministre.

« La bonne performance économique du Québec nous autorise à augmenter de façon substantielle le salaire minimum », – Dominique Vien, ministre du Travail, communiqué de presse, 18 janvier 2018

Aux oreilles d’un dépanneur, ces paroles lénifiantes ne veulent absolument rien dire car cette supposée « bonne performance » sur papier ne génère aucun revenu additionnel dans les caisses enregistreuses qui pourrait le moindrement compenser cette hausse.

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