Volet 2 – Incroyable mais vrai : Loto-Québec ACCORDE en 2012 puis RETIRE en 2016 toute commission sur les ventes en ligne!

Cela fait cinq ans cette année que Loto-Québec vend de la loterie en ligne, une décision qui a suscité, au départ, un grand vent d’inquiétude chez les détaillants.
Cinq ans plus tard, qu’en est-il? Dans le cadre de notre DOSSIER SPÉCIAL LOTO-QUÉBEC, CINQ ANS DE LOTERIE EN LIGNE, DepQuébec se penche toute la semaine sur le phénomène dans le but d’en comprendre les ramifications et de dresser un bilan.
Aujourd’hui, 2e volet du dossier sur le lancement d’un système de commissions des ventes en ligne qui a été ACCORDÉ puis RETIRÉ aux détaillants.

Tandis que Loto-Québec pavoisait fièrement, à l’annonce du lancement de la loterie en ligne en 2012, sur le fait que “les partenaires et diverses associations qui représentent les détaillants ont été partie prenante dans l’élaboration du projet”, elle s’est fait infiniment plus discrète lorsque, quatre ans plus tard, elle retirait en douce toutes les commissions accordées sur les ventes en ligne aux détaillants et ce, sans aucune consultation, annonce publique ni endossement de qui que ce soit, ni même une seule mention de cette affaire dans ses rapports annuels!

Car Loto-Québec n’a-t-elle pas un monopole complet sur le jeu? Et ne peut-elle pas faire ce qu’elle entend, comme elle l’entend?  Absolument, alors pourquoi s’en priverait-elle?

L’histoire vaut à tout le moins la peine d’être racontée.

Une annonce manquée

On se rappellera qu’en novembre 2011, Loto-Québec avait créé bien malgré elle une onde de choc après avoir coulé dans les médias son intention prochaine de vendre de la loterie en ligne et ce, en montrant très peu d’empathie pour les détaillants, ses principaux partenaires.

Dans un article publié à la une du Journal de Montréal, un porte-parole de la société d’État rejetait du revers de la main les impacts négatifs que la vente en ligne pourrait avoir auprès des détaillants, se contentant de souligner que pour ce qui est des ventes, « c’est le client qui va décider. Il y en a qui vont continuer d’acheter leurs billets à leur endroit de prédilection.  C’est tout simplement un choix élargi et on pense que les détaillants vont comprendre la situation. » 

“Loto-Québec dame le pion aux dépanneurs”, titrait en une le Journal de Montréal. Ce pavé dans la mare a suscité quantités de réactions négatives de détaillants aux quatre coins du Québec.

Ce n’est pas sans rappeler des réactions similaires au Massachusetts (voir article ici) et ailleurs aux États-Unis où plusieurs sociétés de loterie qui tentent de convaincre leur législature d’autoriser la vente de loterie en ligne doivent composer avec une fronde de détaillants.

Voilà donc une affaire bien mal partie! Mais c’est dans de tels moments que les alliés s’avèrent utiles et que la gestion participative prend de la valeur.

La société d’État a ainsi senti le besoin de calmer le jeu et pour ce faire, de s’asseoir avec les grandes associations de détaillants afin d’élaborer une formule de rémunération qui apaiserait leurs appréhensions.

Quelques mois plus tard, le 9 août 2012, la société d’État annonçait le lancement prochain de la vente de loterie en ligne incluant un système de commission aux détaillants à trois paliers, soit : 6 % au détaillant désigné par le consommateur (soit le taux en vigueur pour les achats en magasin), 2 % aux détaillants non-désignés et versés à tous au prorata des ventes et 1 % pour les gros lots (selon le même principe, c’est-à-dire soit au détaillant désigné, soit à l’ensemble s’il n’est pas désigné). Ce système confère donc aux détaillants les mêmes privilèges que s’ils vendaient la loterie en magasin dans la mesure où le consommateur leur attibue la commission.

La vente de loterie en ligne représente ainsi une avenue intéressante pour les détaillants puisque les consommateurs auront la possibilité de désigner un détaillant. Chaque détaillant désigné recevra la même commission qu’en magasin. Si un client ne désignait pas un détaillant, un pourcentage de ses achats sera remis à l’ensemble des détaillants, au prorata de leurs chiffres de ventes. Ce projet se concrétise après des mois de discussions constructives entre la Société, les détaillants et les associations qui les représentent. — Loto-Québec, communiqué du 9 août 2012

Le président de Loto-Québec en 2013, Gérard Bibeau, justifiait aussi ce système par le fait qu’il incite les détaillants à promouvoir la loterie en ligne.

“La vente en ligne présente également un potentiel intéressant pour les détaillants. En effet, les consommateurs ont maintenant la possibilité de désigner un détaillant lors de leurs achats sur le web afin que ce dernier reçoive la commission correspondante. En contrepartie, Loto-Québec peut promouvoir la vente de loteries en ligne dans les points de vente de son réseau.” – Rapport annuel 2013 de Loto-Québec, page 20

Au moment de l’annonce, les trois associations consultées y allaient alors de commentaires élogieux, soulignant tantôt “l’intégration des détaillants dans ce projet” (ADA), “l’écoute de nos préoccupations” (AMDEQ) ainsi que “l’importance de prendre en compte les intérêts des petits détaillants” (FCEI).

De plus, dans un communiqué distinct émis simultanément, la vice-présidente de la FCEI, Martine Hébert, allait jusqu’à affirmer qu’il est “essentiel que les détaillants aient une commission”. Contactée par DepQuébec dans le cadre de ce reportage afin de savoir si elle était au courant de ces changements et les avait avalisés, la FCEI n’a pas daigné nous revenir. Pour sa part, l’Association des détaillants en alimentation du Québec (ADA) a indiqué à DepQuébec “avoir été informé des changements et constaté (parce qu’il y avait une réticence initiale) que l’impact était minimal pour chaque commerce” selon la directrice des Affaires gouvernementales, Gaëlle Leruste. Ceci dit, l’association ne ferme pas la porte à aborder le sujet dans le futur avec Loto-Québec.

“Devant la décision de Loto-Québec de permettre l’achat de loterie en ligne, nous avons demandé et obtenu que l’intérêt des détaillants soit pris en compte dans le processus. C’est pourquoi nous sommes satisfaits que Loto-Québec ait accepté de leur verser un pourcentage des revenus liés aux ventes de loterie en ligne.” – Martine Hébert, FCEI (2012)

Ainsi, durant quatre années, tous les achats en ligne de loterie ont généré des “commissions similaires aux ventes en magasin” — pour celles qui étaient désignées — et ce, grâce aux efforts méritoires de représentation de ces associations. Il n’est pas dit toutefois qu’en ce qui concerne les gratteux qui ont été migrés en ligne plus tard, ceux-ci ont été commissionnés “comme en magasin” car la commission y est de 8 %, et non 6 %. Loto-Québec n’a jamais rendu public les statistiques de commissions versées de 2012 à 2016 spécifiquement pour les ventes en ligne, mais nous savons pour avoir parlé à des détaillants que des montants ont bel et bien été versés aux trois mois.

Selon un document interne obtenu en exclusivité par DepQuébec, Loto-Québec y prétend que la moyenne de commissions versées par année via ce système s’élevait à 3% du total des ventes, ce qui signifie, vraisemblablement, que 25% des ventes en ligne étaient commissionnées à 6% tandis que 75% étaient commissionnées à 2%, pour une moyenne totale de 3% sur les ventes. N’ayant pas obtenu les chiffres de Loto-Québec qui, devant les demandes de DepQuébec, a choisi de se réfugier derrière la Loi d’accès aux renseignements personnels, nous ne sommes pas en mesure de vérifier cette assertion.

La beauté de ce système, en réalité, n’était pas tant le fait des montants — encore modestes pour l’instant — que le principe d’empocher une ristourne garantie à vie sur toutes les ventes en ligne et gros lots afférents. Jusqu’à présent, les commissions versées aux détaillants pouvaient atteindre, nous a-t-on dit, environ 20 à 30$ chaque trois mois, selon le volume de ventes d’un détaillant. Mais rien n’empêchait ces derniers, aussi, de promouvoir ou de rappeler à leur clientèle de les désigner en ligne de sorte que le potentiel de commission à 6% pouvait être exploité davantage.  Chose certaine, quel magnifique système et quelle formidable police d’assurance pour l’avenir!

Trop beau pour être vrai

Le déclin des ventes de loteries en général — de l’ordre de 30% en 10 ans — dont nous faisions état dans notre article d’hier ne s’est pas accompagné d’un déclin similaire des charges d’exploitation de Loto-Québec pour les dites loteries. Ainsi, en 2015, ces charges étaient de près de 10 % supérieures à celle de 2007, de sorte que la société a entrepris une réduction drastique de ses coûts d’opération… en transférant une partie du fardeau qu’elle assumait pour la gestion des billets sur le dos des détaillants, visant ainsi à réaliser une économie de 10 millions $ annuellement.

Les réformes entreprises par Loto-Québec en 2016 en ont ainsi mécontenté plus d’un (voir à ce sujet l’article suivant). Car tandis qu’auparavant, des représentants sur la route étaient à pied d’oeuvre pour assurer un bon service aux détaillants et les approvisionner en billets, fiches, rouleaux de papier pour le terminal et autres, dorénavant c’est aux détaillants de faire les commandes du matériel qu’ils ont besoin.

Loto-Québec prétend pour sa part que ce système sera favorable aux détaillants.

“Les détaillants y trouvent également leur compte pour diverses raisons, dont une réduction des coûts d’inventaire et des carences de billets et des modalités de paiement et de perception plus avantageuses.” – Rapport annuel 2017 Loto-Québec, page 19

Ce n’est toutefois pas l’avis de plusieurs détaillants à qui nous avons parlé. On se plaint notamment qu’il est rendu très difficile, voire impossible, avec ce système de vérifier les inventaires, de sorte que les détaillants doivent se fier les yeux fermés sur la facturation de Loto-Québec et prier qu’elle ne fasse aucune erreur, car ils n’ont aucun moyen de le savoir à moins d’y mettre des heures de fous.

Mais que peuvent faire les détaillants à part d’obtempérer docilement à la toute puissante société d’État monopolistique sur laquelle repose une partie de leurs revenus?

De la vente en ligne à la vente en magasin

C’est dans ce tourbillon de changements et de grincements de dents que les marchands apprennent que le système de commission de loterie en ligne en vigueur depuis 2012 sera abandonné.

Désormais, les commissions passeront par un seul et unique produit : l’Argent Web.

Pour Loto-Québec, l’Argent Web est une façon supérieure à l’ancienne de faire participer les marchands au succès des ventes en ligne.

Mais est-ce surtout profitable à Loto-Québec ou aux marchands? Et de quoi s’agit-il?

Demain, dans le troisième volet de notre dossier, nous passerons en revue l’Argent Web pour tenter de voir s’il est vrai qu’il peut prétendre à une alternative crédible au système abandonné… de force.

Nous pouvons d’ores et déjà conclure, toutefois, que les détaillants avaient une commission sur TOUTES les ventes de loterie en ligne en bonne et due forme, mais ne toucheront dorénavant que des commissions sur les ventes en magasin d’une part seulement des ventes en ligne (qui englobera en sus des loteries les ventes de jeux de casino en ligne).

Ils ne toucheront plus non plus de commissions sur les gros lots vendus en ligne.

Ainsi, les chemins des ventes en ligne et des ventes en magasin de produits en ligne viennent de se séparer devant eux : on leur indique la voie d’un seul de ces deux chemins et désormais, ils seront tributaires de ce seul et unique médium qu’est l’Argent Web.

Et pour illustrer clairement ce que les détaillants avaient avant la réforme et qu’ils n’ont plus (du moins sous cette forme), revoici un tableau de projection des ventes de loteries en ligne que nous avons présenté hier avec les commissions afférentes qui leur étaient octroyées.

PROJECTION DES VENTES DE LOTERIES EN LIGNE SUR 11 ANS À 37 % DE HAUSSE PAR ANNÉE (en millions $)

Ventes de loteries en ligne
Manque à gagner (3%)
Commission Gros Lot
2016
40 M $
1,2 M $
+1% GL
2017
55
1,7
+1% GL
2018
75
2,3
+1% GL
2019
103
3,1
+1% GL
2020
142
4,3
+1% GL
2021
194
5,8
+1% GL
2022
266
7,9
+1% GL
2023
364
10,9
+1% GL
2024
499
14,9
+1% GL
2025
683
20,5
+1% GL
2026
936
28,1
+1% GL

Note : les commissions actuelles versées aux détaillants sous toutes formes sont de l’ordre de 128 millions $ par année.

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