Les boissons maltées sacrifiées en partie malgré l’absence de données probantes sur leur causalité

La politique a ses raisons que la raison n’a pas.

Et lorsqu’une cause est entendue dans l’opinion publique, peu importe les faits ou la réalité, les nuances prennent le bord et tout est prétexte à justifier les décisions politiques qui s’imposent.

Ainsi en est-il des boissons sucrées et alcoolisées, que le gouvernement va bientôt interdire dans les dépanneurs et épiceries pour tous les produits ayant plus de 7% de teneur en alcool.

Chronologie des événements

Revoyons les faits.

Depuis l’an dernier, des reportages alarmants surgissent dans lesquels on apprend que des jeunes mineurs se seraient intoxiqués à consommer des boissons de type « Four Loko » ou « FCKD UP » qui sont très sucrées et contiennent presque 12 % d’alcool.

Ainsi, dans un article du quotidien La Presse du 5 octobre 2017  intituté « Une boisson complètement débile », le Dr Antonio D’Angelo, chef des urgences du CHU Sainte-Justine, raconte avoir traité un adolescent de 14 ans qui avait perdu connaissance après avoir bu le contenu de deux canettes de Four Loko – soit l’équivalent de huit verres de vin – en moins de 30 minutes.

« Le patient était plongé dans un coma éthylique, décrit le pédiatre qui a reçu les deux garçons aux urgences le mois dernier. Son ami nous l’a amené parce qu’il n’arrivait pas à le réveiller. » – Dr D’Angelo

En effet, voilà qui porte à réflexion. Est-ce que ce type de boissons est une menace aux jeunes, les incitant à commettre des abus dangereux parce qu’elles masquent le goût de l’alcool, sont vendues partout et pas cher et que leur marketing les vise spécifiquement, voire même, les incite à se saoûler?

C’est possible mais plutôt que de se fier aux apparences,  il convient d’obtenir des données probantes pour s’en assurer. Autrement c’est n’importe quoi.

Et c’est exactement ce dont les députés de l’Assemblée nationale conviennent, celle-ci adoptant le 26 octobre 2017 la motion suivante :

« QUE l’Assemblée nationale demande au Directeur national de santé publique de se pencher sur les cas d’intoxications suite à la consommation de boissons à forte teneur en sucre et alcool, notamment chez les jeunes. »

Toutefois, dans les mois qui suivent, une série d’événements inattendus et non reliés vont porter cet enjeu à un niveau de crescendo plutôt extrême.

  • D’abord, en décembre 2017, la boisson Four Loko est retirée du marché pour une raison technique, à savoir que son embouteilleur, Cidrerie Solar, n’a pas utilisé le type d’alcool réglementaire pour qu’il soit vendu en épicerie et dépanneur. Cet embouteilleur annoncera faire faillite quelques semaines après. Cela n’a rien à voir avec la problématique des jeunes mais vient encore une fois accaparer l’attention et alimenter la controverse autour de ces boissons.
  • Puis, en février 2018, le décès accidentel de la jeune Athéna Gervais survient non pas causé par, mais suite à l’ingestion de boissons de marque FCKD UP subtilisés dans un dépanneur (toutes nos condoléances à la famille). Ce fut alors vraiment la goutte qui a fait déborder le vase.

Le directeur général d’Éduc’Alcool, Hubert Sacy, accuse publiquement cette gamme de produits de causer un véritable raz de marée d’intoxications au Québec :

«Il suffit d’aller dans les urgences des hôpitaux à toutes les fins de semaine pour constater que ce n’est pas un produit inoffensif». – Hubert Sacy, Éduc’Alcool, cité dans La Presse

Éduc’Alcool presse le gouvernement d’interdire la vente en dépanneur et épicerie de toutes ces boissons pour les permettre seulement dans les succursales des SAQ.

Mais à partir du décès de la jeune Athéna, la nocivité des boissons alcoolisées sucrées devient une certitude dans l’opinion publique, car il est à l’évidence démontré qu’à au moins quelques occasions, celles-ci ont entraîné des intoxications aiguës de personnes mineures.

Mais pourtant, elle tourne

On convient donc tous que les boissons sucrées et alcoolisées ont été impliquées dans des cas d’intoxications aiguës de mineurs (et de manière malheureusement tragique, dans un cas qui a terminé en décès accidentel).

On peut très bien décider comme société que quelques cas, même s’il s’agit de cas isolés, sont suffisants pour justifier une nouvelle réglementation plus restrictive.

Mais tous les scientifiques vous diront que des cas isolés ne sont pas, à proprement parler, des données probantes fiables sur lesquels établir des liens avérés de causalité.

C’est pour cette raison que l’Institut national de la Santé publique (INSP) s’est penché sur la question afin de fournir aux parlementaires un éclairage scientifique sur la situation.

L’Institut de la Santé publique du Québec a publié un rapport dans lequel elle dit ne pouvoir conclure, sur la foi des données disponibles, que les boissons sucrées et alcoolisées sont la cause principale des cas d’intoxication par l’alcool au Québec. En fait, ce sont les spiritueux vendus majoritairement à la SAQ qui en sont principalement la cause.

Or, voici les grandes conclusions de son avis sur la question :

  • Les données disponibles ne permettent pas de conclure que les produits à haute teneur en sucre et alcool sont la cause principale des cas d’intoxications aiguës vus aux urgences du Québec en 2017.
  • La vaste majorité des jeunes de 12 à 24 ans admis aux urgences (75 %) avait bu des boissons à forte teneur en alcool (spiritueux ou boissons prémélangées avec spiritueux), donc, qui n’ont rien à voir avec les boissons sucrées et alcoolisées vendues en dépanneur mais bel et bien avec les spiritueux vendus en très grande majorité dans les succursales de la SAQ.
  • De 2014 à 2017, (chez les mineurs) de 12 à 17 ans, on ne peut conclure à une augmentation statistiquement significative des cas d’intoxications aiguë présentés aux urgences.
  • Chez les adultes de 18 à 24 ans toutefois, là on voit une hausse significative du taux d’intoxication aiguë entre 2014 et 2017.

Puis, le rapport se penche sur les ventes en hausse de boissons sucrées et alcoolisées et sur le marketing de certains produits ciblant les jeunes.

Donc, autrement dit, les données disponibles ne permettent pas de lier les boissons sucrées et alcoolisées à une hausse de cas d’abus chez les mineurs, mais peut-être — et ce n’est pas prouvé, mais suspecté — que oui pour les jeunes adultes de 18 à 24 ans.

Mais on s’entend que ces « jeunes » de 18 à 24 ans sont des adultes majeurs et vaccinés qui normalement savent ce qu’ils font (on l’espère car ils ont droit de vote!), et on s’entend aussi que les trois-quarts de la problématique est liée à la consommation de spiritueux vendus pour la plus grande part à la SAQ.

Or, personne ne parle de bannir quoi que ce soit à la SAQ ni même de pointer du doigt la SAQ pour avoir vendu des spiritueux à des adultes qui ont en fait une consommation excessive.

Parcontre, l’INSP ne peut s’empêcher d’y aller d’une série de recommandations qui ne sont en rien appuyés scientifiquement, mais simplement basé sur un principe de précaution étiré à l’élastique : prix minimum sur ces produits, restriction de la publicité, etc.

Patate chaude politique à ne pas garder dans sa main

Maintenant qu’on sait tout ça, voilà que le ministre de la Sécurité publique Martin Coiteux et la ministre de la Santé publique Lucie Charlebois se présentent le 13 mars dernier devant les médias pour éteindre la crise (voir verbatim de la conférence de presse ici) et ce, à six mois d’une élection.

Croyez-vous qu’ils ont commencé en disant : « Bon! on a un rapport de l’INSP qui dit qu’on a rien trouvé contre les boissons alcoolisées sucrées chez les mineurs… »?

À moins de vouloir mettre fin à leur carrière politique… pas vraiment!

« Évidemment, un geste comme celui-là, l’interdiction dans les dépanneurs et les épiceries, c’est beaucoup plus fort qu’un geste qui consisterait à, par exemple, fixer un prix minimum, un prix plancher. (…) On veut aller plus loin que ce que nous recommande l’Institut de la santé publique à cet effet. » – Martin Coiteux, ministre de la Sécurité publique, 13 mars 2018

Voici plutôt ce qui s’est dit et passé.

Après avoir introduit le sujet, le ministre Coiteux mentionne deux événements qui ont été une prise de conscience : le retrait de Four Loko des tablettes et le décès d’Athéna Gervais.

Or, le premier n’a rien à voir, mais passons.

Le ministre déclare ensuite : « maintenant, on a un rapport de l’Institut de santé publique, alors on peut agir. »

Vraiment?

Vous avez un rapport qui conclut à une absence de preuve mais à une culpabilité par association, et vous pouvez agir? Ça ne passerait pas au tribunal. Mais enfin.

Les mesures proposées par le gouvernement : interdire la vente de boissons à plus de 7% d’alcool et plus de pouvoirs à la RACJ pour interdire la production de ces types de boissons si elle le juge nécessaire. OK!

Estimons-nous chanceux qu’ils n’aient pas tout interdit!

Maintenant, voici la première question des médias : « Pourquoi avoir attendu la mort d’une adolescente avant d’agir? »

Et la deuxième : « Mais manifestement, ces choses-là que vous annoncez aujourd’hui, ce n’était pas dans le projet de loi, à l’origine. Vous l’avez déposé… Vous y avez pensé plus tard. »

Vous voyez donc le climat. La chose était déjà entendue : coupable!

C’est fini pour toujours

Les boissons sucrées et alcoolisées de plus de 7% seront donc désormais interdites de vente dans les dépanneurs du Québec, en l’absence totale de données probantes, mais suite à une série d’événements et à un timing assez incroyables. Telle est la réalité.

À la décharge des politiciens, certains torts ont été commis par l’industrie qui ont d’ailleurs été admis ouvertement.

Le Groupe Geloso, fabriquant du FCKD UP,  a fait son mea culpa quant au branding et au marketing de cette boisson. Il en a annoncé le retrait et c’est tout à son honneur. Idem pour Couche-Tard.

L’embouteilleur Cidrerie Solar qui aurait sciemment mixé le mauvais alcool pour économiser sur sa marge a très mal fait paraître l’industrie également et a conséquemment fait faillite.

Les détaillants, pour leur part, ont été pris entre l’arbre et l’écorce, soit de vendre un produit légal mais de manière responsable. Ce qu’ils ont admirablement bien réussi en général, certains même décidant parfois d’en suspendre la vente en voyant quelques abus (voir ici).

Alors sans doute que dans ce contexte, l’interdiction des boissons de 7% et plus était inévitable, car un autre drame similaire à celui d’Athéna Gervais serait impensable.

Mais pour l’avenir, l’industrie doit faire davantage pour prévenir de telles situations car comme on le voit, celles-ci peuvent déraper facilement et forcer les policitiens à prendre des décisions irréparables sous pression.

On ne saura ainsi peut-être jamais quel a été l’impact réel et véritable des boissons alcoolisées et sucrées auprès des mineurs, si impact il y avait, ou s’il s’agissait simplement de quelques cas isolés.

Et on ne parlera jamais du rôle prédominant joué par les spiritueux vendus majoritairement à la SAQ dans tout ce phénomène.

Quel dommage… en voilà un d’ailleurs qui se tire drôlement bien d’affaire.

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