Mise à jour : La Cour Suprême DIT NON à l’achat illimité d’alcool dans une autre province

Les propriétaires de dépanneurs situés le long de la rivière Outaouais et en bordure du Nouveau-Brunswick vont pouvoir continuer leur train train quotidien.

En effet, dans une décision historique fort attendue de la Cour Suprême, les neuf juges du plus haut tribunal au pays ont statué de manière unanime que les provinces ont le droit, en vertu de la présente constitution, de restreindre le commerce interprovincial.

Advenant qu’ils abolissaient ce droit, les conséquences auraient été énormes pour l’ensemble de l’économie canadienne et même fort positives aux dires de plusieurs.

Selon l’Institut économique de Montréal (IEDM) qui a publié une note signée de son président, Michel Kelly-Gagnon, à ce sujet en décembre dernier (Affaire Comeau : la fin des barrières au commerce entre les provinces?), il s’agirait d’une nouvelle fort bénéfique pour l’économie canadienne :

« Cela remettrait en question les monopoles d’alcool provinciaux. Ce serait cependant une bonne nouvelle pour la très grande majorité des Canadiens (78%) qui pensent qu’en 2017, on devrait pouvoir acheter n’importe quelle quantité de bière ou de vin dans une province et l’emporter dans une autre. » – Michel Kelly-Gagnon, IEDM

Selon l’IEDM, la levée des obstacles au commerce interprovincial pourrait ajouter de 50 à 130 milliards$ au PIB canadien. En utilisant une estimation mitoyenne de 100 milliards$, cela signifie 2700$ de richesse de plus par Canadien. Rien de moins!

L’affaire Gérard Comeau connaît son dénouement

C’est par un simple achat de bière en 2012 auprès de détaillants du village de Pointe-à-la-Croix, au Québec, qu’est née une véritable saga judiciaire qui va connaître son aboutissement final ce jeudi.

En octobre 2012, Gérard Comeau, un retraité de Tracadie, au Nouveau-Brunswick, a été arrêté par la GRC, qui lui a remis une amende de près de 300 $.

Son crime? Avoir rapporté chez lui de la bière achetée au Québec!

Il faut savoir qu’au Nouveau-Brunswick, l’« importation » d’alcool d’une autre province à des fins personnelles est limitée à dix-huit bouteilles de bière ou une bouteille d’alcool ou de vin.

Retraité de Tracadie au Nouveau-Brunswick, M. Gérard Comeau a reçu une contravention de 300 $ pour avoir acheté de l’alcool au Québec, en plus de s’être fait saisir toute sa marchandise.

Selon le jugement de première instance, M. Comeau était allé à Pointe-à-la-Croix et à Listuguj (une réserve autochtone située juste en face, les deux étant de chaque côté de l’artère principale) pour acheter des boissons alcoolisées à un prix inférieur à celui qu’il aurait payé s’il avait acheté les boissons alcoolisées au Nouveau-Brunswick.

On y apprend que c’est dans le cadre d’une opération policière de la GRC en appui aux lois du Nouveau-Brunswick que M. Comeau a été arrêté.

À son insu, le jour fatidique du 6 octobre 2012, il a été pris en filature par la GRC. La police ciblait des consommateurs du Nouveau-Brunswick qui achetaient plus de cinq caisses de bière au Québec pour les ramener chez eux.

On l’a vu entrer dans le Dépanneur Wysote (commerce autochtone de la réserve Listuguj qui vend bière et cigarettes sans taxe), un magasin de la SAQ (située juste en face) ainsi que le supermarché Provigo de Pointe-à-la-Croix (juste à côté), qui vendaient tous des boissons alcoolisées.

Il a ensuite retraversé le pont J.C. Van Horne pour rentrer au Nouveau-Brunswick, avec l’intention de retourner chez lui à Tracadie. Le véhicule de M. Comeau a alors été intercepté par le détachement de la GRC à Campbellton et fouillé pour motif de possession illégale de boissons alcoolisées.

Dans son coffre intercepté sur la rue Val d’Amour à Campbellton, la police a saisi :

  • 2 caisses de 24 bouteilles de bière Sleeman Light;
  • 2 caisses de 24 bouteilles de bière Miller Genuine Draft;
  • 2 caisses de 24 bouteilles de bière Molson M;
  • 3 caisses de 20 bouteilles de bière Budweiser Light;
  • 3 caisses de 20 bouteilles de bière Budweiser;
  • 3 caisses de 30 canettes de bière Coors Light;
  • 2 bouteilles de whisky, de 750 ml chacune;

M. Comeau a contesté l’amende et, en avril 2016, la Cour provinciale du Nouveau-Brunswick a rejeté l’accusation dont il était l’objet. Le juge a conclu que l’article 121 de la Constitution avait pour but de permettre le libre mouvement des biens à travers le Canada, et que la loi provinciale était donc inconstitutionnelle.

Afin d’épargner des montants substantiels sur ses achats de bière et d’alcool (pour lui et sûrement aussi, de la famille et des amis), Gérard Comeau n’a pas hésité à faire près de 400 km de route, soit quatre heures environ, pour partir de chez lui, à Tracadie, et s’en aller à Pointe-à-la-Croix, au Québec. Cela explique la très grande quantité d’alcool saisi dans son véhicule.

Lorsque la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a refusé d’entendre la cause, le gouvernement de la province s’est tourné vers la Cour suprême, qui a accepté.

Les avocats du Nouveau-Brunswick soutiennent que l’article 121 de la Constitution n’interdit que les droits ou tarifs douaniers. Cette interprétation contre-intuitive, qui a été exposée pour la première fois par la Cour suprême dans la décision Gold Seal, rendue à l’époque de la Prohibition, a permis aux provinces d’ériger plusieurs barrières non tarifaires, comme celles énoncées dans la loi néo-brunswickoise. Les avocats de M. Comeau plaident de leur côté que cette interprétation est erronée et demandent à la Cour de la rectifier.

Impacts majeurs pour les dépanneurs transfrontaliers

Depuis que la bière est beaucoup moins chère au Québec qu’en Ontario et au Nouveau-Brunswick (soit des années et des années), les dépanneurs situés aux abords de la frontière avec ces deux provinces font des affaires d’or.

Tout au long du boulevard Interprovincial qui divise le village de Pointe-à-la-Croix en deux (réserve autochtone à gauche, village à droite), on retouve sept détaillants de bière (plus un huitième qui vient de fermer). Dans leur magasin, on retrouve un très vaste inventaire de bière, avec l’accent mis sur des caisses géantes de 48 et 60 cannettes, les plus en demande par ceux et celles qui viennent de la province voisine pour s’approvisionner. Et comme une bière se conserve très bien, voire plusieurs mois sans problème, on n’hésite pas à acheter en grande quantité.

Malheureusement, il demeurera illégal de charger des camionnettes pleines de bière au Québec pour les transporter ailleurs au Canada.

Les choses restent donc comme avant et même si l’achat est illégal au-delà d’une certaine quantité arbitraire, plusieurs décideront de passer outre et de tenter leur chance… comme maintenant.

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