En réplique à DepQuébec, la Régie rehausse les critères d’obtention du permis d’épicerie
Le bras de fer entamé par la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) et DepQuébec il y a deux ans au sujet des conditions d’obtention du permis d’épicerie pour la vente d’alcool s’est finalement soldé par une victoire morale sans équivoque du portail des dépanneurs sur le gouvernement (voir ici l’article à ce sujet datant de février 2018).
En effet, après s’être vivement opposé à notre interprétation du règlement, la RACJ a finalement reculé aussi subtilement qu’un camion 10 roues faisant « bip-bip-bip » en venant préciser, dans un nouveau projet de réglement déposé en février dernier (mais non encore adopté, voir ici), ce qu’elle entendra désormais par « variété de denrées en étalage ».
Or, et malgré la satisfaction d’avoir remporté cet argument, il est quelque peu désolant de voir ainsi la Régie rehausser les exigences, conditions et obligations qui seront imposées d’ici peu aux biéristes pour pouvoir vendre de l’alcool, tout cela afin de colmater la brèche que nous avons identifiée en 2018 dans le noble but d’encourager encore plus d’entrepreneurs à devenir biéristes.
Cela étant, la RACJ est plutôt bonne joueuse puisque les nouvelles normes ne poseront aucun problème de conformité aux biéristes ni ne mettront en danger leur modèle d’affaires, à tout le moins selon la plupart que nous avons consultés.
Fort heureusement car il aurait été pathétique et incompréhensible que le gouvernement vienne ainsi fermer le robinet de bière locale et spécialisée qui coule présentement en abondance sur le Québec pour le plus grand bonheur des amateurs de houblon et artisans de microbrasserie.
Et tout cela, en plus, au sortir d’une longue pandémie!
Des conditions plus strictes pour les biéristes
Il y a deux ans, DepQuébec soulignait avec ironie et dans un article fort remarqué qu’en vertu du règlement actuel, il est tout à fait possible et légal d’exploiter un magasin de bière avec seulement trois aliments en magasin: un caviar à 2500$ et deux sachets de café à 300$ chaque, les deux étant alors disponibles et en vente sur Amazon.
En effet, le présent règlement exige un minimum de 3000$ de produits alimentaires en magasin, ces derniers devant représenter 51% de l’inventaire total excluant l’alcool. Quant à la nature de ces aliments, la loi précise seulement qu’il doit y avoir une « variété de denrées », c’est tout.
Or, selon le dictionnaire Larousse, une variété est définie comme le « caractère de quelque chose dont les éléments sont divers, différents ». Autrement dit, deux aliments différents ou plus, tout simplement, répondent parfaitement à cette définition!
Le nouveau projet de réglement (voir ici) déposé par la RACJ en février dernier vient donc préciser sans ambage ce que le législateur entend par « variété ».
Il énonce neuf catégories d’aliments distincts — viandes, légumes, croustilles, surgelés et autres — en exigeant cette fois que les titulaires de permis tiennent au moins trois de ces catégories en magasin. Voilà qui a le mérite d’être clair.
De plus, la valeur au détail minimum des aliments en magasin présentement établie à 3000$ est haussée à 5500$, soit une augmentation d’environ 85%. Et autre ajout révélateur, le ratio entre les aliments et autres produits non alimentaires vendus en magasin (excluant l’alcool) doit respecter en tout temps la règle du 51%, et pas seulement lors de la demande du permis!
Les biéristes surpris mais pas inquiets
Afin de connaître l’impact de ce projet de réglement sur les exploitants de magasin de bière, DepQuébec en a contacté une dizaine qui, tous, ont admis ne pas être au courant de l’arrivée prochaine de cette nouvelle réglementation malgré l’annonce en bonne et due forme faite par la Régie l’hiver dernier.
Un peu nerveux face la perspective de nouvelles restrictions, ils ont pour la plupart paru soulagés en prenant connaissance de la teneur modérée des nouvelles exigences proposées par la Régie. Rien en fait qui vienne menacer un tant soit peu leur modèle d’affaires, même chez les indépendants les plus fragiles.
Certains biéristes comme Karl Magnone, président de la franchise Tite Frette dont l’expansion effrénée atteint présentement le rythme d’un nouveau magasin par semaine, s’est dit ravi de cette initiative.
« Pour nous, les nouvelles exigences ne posent aucun problème, nous y sommes déjà conformes ou sinon, très près de l’être. De plus, nous saluons le fait que les obligations réglementaires visant l’obtention d’un permis soient plus claires et précises, ce qui simplifiera grandement le processus et évitera les malentendus. » — Karl Magnone, président de Tite Frette
Un an pour se conformer
Ce n’est toutefois pas demain la veille que ce nouveau réglement entrera en vigueur, mais plutôt vers la fin de 2022 selon toute vraisemblance.
D’abord, après une période de consultation de 45 jours qui s’est terminée en avril, il doit obtenir l’aval du Conseil des ministres avant d’être publié dans la Gazette officielle et ce, pour une entrée en vigueur au 15e jour suivant cette publication. Or, la Régie confirme que plusieurs intervenants se sont manifestés durant la consultation.
« La Régie a effectivement reçu quelques commentaires en provenance d’organismes ou associations visés par ces modifications réglementaires. » — Joyce Tremblay, avocate et porte-parole, RACJ
Il pourrait donc, en théorie, y avoir des modifications de sorte qu’on ne sait pas quand cette approbation ou publication viendra, tout dépendant des questions que pourraient avoir les élus et dirigeants au pouvoir et qui pourraient en théorie renvoyer la RACJ à sa table à dessin.
De plus, une fois adopté, le règlement prévoit à l’article 91 que le titulaire d’un permis d’épicerie aura un an pour se conformer aux articles 54 et 55 qui visent spécifiquement les biéristes.
Un atterrissage en douceur, somme toute, pour un projet de réglement modéré qui n’empêchera pas les biéristes d’offrir autant de bières qu’ils le souhaitent dans la mesure où leur offre s’accompagne d’une certaine quantité d’aliments variés.
Et quoi de plus approprié pour accompagner une bière de qualité qu’un bon fromage ou une saucisse relevée? Ainsi, pas de quoi perdre sa chemise avec de telles dispositions.
Maintenant, au tour des prix minimums de la bière
Cet exemple illustre bien comment un portail indépendant comme DepQuébec peut, de nos jours et grâce à la magie d’Internet, exercer une influence tangible sur les politiques sans faire de lobbying comme tel mais en mettant tout simplement de l’avant, dans l’arène publique, des questions controversées et méconnues ou encore, qui exigent des réponses.
Et ce ne sont pas tant les articles comme tel que la réaction des lecteurs qui génère de l’influence. Ainsi, c’est lorsque la Régie est débordée d’appels de détaillants avertis et inquisiteurs qu’elle s’intéresse à ce qu’on écrit et pas autrement.
Nous serons toujours fiers, par ailleurs, d’être la voix de ceux et celles qui se sentent muselés face aux puissantes sociétés d’État monopolistiques ou encore, face aux autorités réglementaires omnipotentes qui, dans leur tour d’ivoire, n’ont aucune idée de ce que sont les vicissitudes, défis et difficultés du monde réel.
Bref, tant mieux si la Régie se sent interpellée par nos articles, tant mieux si ceux qui les lisent la harcèle et tant mieux si elle réagit en conséquence.
Reste à voir maintenant ce qu’elle fera avec sa méthode tout croche de calcul de hausse de prix minimum que nous avons exposée et dénoncée en exclusivité il y a quelques semaines (voir article ici).
Tant qu’à avoir l’air fou, aussi bien la corriger elle aussi, surtout que c’est de l’argent qui va aux détaillants et que ça sera fait une fois pour toutes!