EXCLUSIF — Les biéristes sur le bord d’être censurés dans les médias sociaux par Québec

Aujourd’hui, ils disent haut et fort ce qu’ils veulent, sans problème.

Et c’est beau à voir. Vraiment.

Mais demain, hélas, cela risque d’être une toute autre histoire.

Après l’interdiction de l’imagerie de cannabis et l’âge légal de fumer bientôt porté à 21 ans, la rectitude politique continue de plus belle sur son élan liberticide.

Et si la censure demeure inacceptable et injustifiable, elle passera comme dans du beurre une fois enrobée d’une bonne couche de « consommation responsable » qui se dit « consensuelle » en plus.

Avis aux intéressés… on vous aura averti!

Un magnifique foisonnement de créativité

Ici, un supermarché connu fait tirer une glacière et un chandail de sport dans le cadre d’une promotion Super Bowl et ce, devant un bel étalage de Bud Light.

Là, un dépanneur-biériste présente une chronique sur les plus récentes nouveautés en microbrasserie.

Et un peu plus loin, un autre dépanneur trépigne d’enthousiasme pour une nouvelle saveur de bière à découvrir durant le week-end.

Qu’il est rafraîchissant de voir ainsi les biéristes du Québec s’en donner à coeur joie pour propager leur amour du produit à coup de vidéos originales et spontanées sur Facebook.

Il est toutefois douteux que le gouvernement partage l’engouement de DepQuébec à leur égard.

De fait, il paraît même possible qu’à terme, il veuille mettre la hache dans les promotions de bière sur les médias sociaux sous prétexte que l’impact combiné de ces messages encourage la consommation irresponsable d’alcool et incite les mineurs à faire des abus.

Et si l’on se fie au lancement récent par la RACJ de la consultation « confidentielle » de l’industrie sur les pratiques en cours, on est malheureusement en droit de craindre une telle possibilité.

Car au banc des accusés, nul autre que les biéristes sur Facebook et dans les médias sociaux!

Même sans règlement les obligeant à le faire, la plupart des biéristes intègrent un volet de responsabilité sociale à leurs apparitions sur Facebook. Ainsi, dans cette vidéo promotionnelle publiée la veille du Super Bowl, Nicolas Ratthé, propriétaire de Bières Dépôt Le Vent du Nord à Rock Forest termine son message ainsi: « Sois prudent en fin de semaine, il y a de la boisson, ça va être festif, en auto, on niaise pas avec ça! » La bannière s’implique par ailleurs en commanditant un service d’accompagnement local de personnes en boisson.
Une loi qui date d’avant les médias sociaux

La Loi encadrant la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) a été revue l’an dernier mais au moment même de son processus d’adoption est arrivée l’affaire Athéna Gervais.

Le décès accidentiel de cette adolescente de Laval, suite à l’ingestion de plusieurs canettes de boissons alcoolisées sucrées de 12%, avait alors ému le Québec en entier et convaincu le gouvernement d’agir en bannissant des dépanneurs les boissons maltées de 7% et plus en teneur d’alcool.

Le gouvernement avait par ailleurs ouvert la porte, le 13 mars 2018, à une révision des règlements concernant la promotion et la publicité des boissons alcooliques, en pointant du doigt particulièrement les pratiques en vigueur dans les médias sociaux:

« Alors, ce qu’on va voir en particulier, c’est la manière et toutes les obligations en matière d’approbation des publicités qui sont diffusées, et là des publicités aujourd’hui, dans le monde contemporain, c’est beaucoup les médias sociaux. Et on veut absolument que notre règlement, notre projet de règlement touche directement les médias sociaux qui sont un véhicule important de promotion de ce type de produits. Et ça, on a l’intention de le faire avec deux objectifs principaux en tête : protéger les personnes mineures en particulier, des jeunes, la protection des mineurs, puis aussi encourager une consommation responsable, ce qui est déjà un objectif du projet de loi n° 170. On veut simplement aller encore plus loin en la matière. » – Martin Coiteux, ex-ministre de la Sécurité publique, mars 2018

Pour revoir son règlement, Québec a annoncé par la suite la création d’un comité de travail fait de représentants ministériels, joueurs de l’industrie et intervenants en santé publique dont le mandat sera de faire des recommandations au ministre (voir source ici).

Une décision que le nouveau gouvernement Legault n’a jamais contredite, bien au contraire.

Le broyeur de libertés est en place

Bien que les discussions de ce comité soient confidentielles et qu’une seule réunion se soit déroulée à date (en décembre dernier), DepQuébec a obtenu par la loi d’accès à l’information l’ensemble de la documentation concernant cette consultation (cliquez ici pour voir et télécharger le dossier complet obtenu).

Or, il appert ce qui suit :

  • La consultation est dirigée par la RACJ;
  • L’objectif: revoir la réglementation sur la promotion et la publicité des boissons alcooliques pour mieux « répondre aux enjeux sociétaux de protection des mineurs et de consommation responsable »;
  • Une vingtaine d’interlocuteurs en font partie qu’on pourrait diviser en quatre groupes: les producteurs (brasseurs, embouteilleurs, fabricants), les détenteurs de permis (dépanneurs, restaurateurs), les groupes de santé publique (Éduc’alcool, ASPQ) et le gouvernement (ministères, INSP, SAQ);
  • Trois sous-comité ont été formés: publicité (qui concerne surtout les fabricants), promotion (qui touche les dépanneurs) et programmes éducatifs (une obligation des fabricants, encore une fois);
  • Échéancier : Janvier 2020, alors que la RACJ présentera au gouvernement une recommandation de réglement qui reposera, espère-t-on autant que possible, sur un consensus.

Donc, rien qui inquiète à première vue. Mais on n’est quand même pas pour vous faire un dessin!

Nouveautés: Bières, une chronique sympathique menacée elle aussi par la censure

Derrière la vertu, les vrais enjeux

Parmi les nombreux acteurs impliqués dans cette consultation, les biéristes semblent faire figure de spectateurs dépassés.

Car si personne n’est contre la vertu de renforcer la consommation responsable, il faut bien se rappeler que ce vocable, qui sonne creux, demeure un fourre-tout commode et malléable pouvant justifier à peu près n’importe quelle mesure dont l’objectif réel, caché et final sera en fait de favoriser l’un ou l’autre des joueurs dans un marché hyper-compétitif de plusieurs milliards de dollars.

Voilà de fait l’enjeu réel que ces discussions de pacotille camouflent.

Ainsi, voyez Éduc’alcool qui se positionne comme un organisme de santé publique mais n’est en fait qu’une créature au service de la SAQ. Celle-ci est fort bien placée, dans un tel contexte, pour peser de tout son poids sociétal au profit des intérêts pécuniers de son maître. Ce ne serait pas la première fois puisqu’on l’a déjà vu faire l’apologie éhontée du monopole d’alcool au Québec.

Pour sa part, l’Association des brasseurs du Québec n’y est pas allé de main morte en tenant à rappeler, dans un article récent de La Presse (voir ici), qu’elle ne digérait pas l’avantage commercial dont jouit la SAQ face au réseau de vente des épiceries en matière de marketing et qui a permis notamment au vin de supplanter la bière avec les années.

La carte Inspire, par exemple, est un outil de fidélisation unique dont dispose la société d’État mais dont ne peuvent profiter les autres partenaires.

L’une des nombreuses vidéos créatives de biériste qui pullulent sur Facebook

D’autres enjeux feront sans doute également surface. Toute la question du prix minimum sur la bière pourrait se trouver mêlée à ces discussions: les associations de dépanneur demandent depuis longtemps qu’il soit indexé à l’inflation alimentaire, et non au taux d’inflation moyen du Canada. Mais il y a peu de chance qu’ils aient gain de cause.

Il y a aussi ce flou autour du respect du prix minimum, qui oppose les petites et grandes surfaces, ces dernières y allant souvent de promotions croisées (offre de pizza congelée gratuite à l’achat de caisses de bière vendues au prix minimum) que seules les gros peuvent se permettre.

Mais là où les choses semblent décidées d’avance, c’est en ce qui concerne « la nécessité d’agir » pour rectifier la promotion d’alcool dans les médias sociaux, les biéristes formant ici une matière première parfaite à réglementer pour bien montrer qu’on fait quelque chose… même s’il s’agit en fait de réparer ce qui n’a nullement besoin de l’être!

Des « pas fiables » ces biéristes!

Ce qui n’aide pas les dépanneurs-biéristes est leur image. Aux yeux du gouvernement, ils sont comme le Far-West. Quand on leur donne du lousse, tout devient permis et c’est le « free-for-all ».

Il s’agit bien sûr d’un préjugé aussi tenace qu’insultant pour les propriétaires qui sont pour la plupart des pères et mères de famille.

Mais personne n’a quand même rouspété lorsqu’on y a interdit la vente de boissons maltées de plus de 7% l’an dernier en représailles au décès accidentel d’Athéna Gervais.

Ainsi, un an plus tard, ne voit-on pas les requins de la tempérance sentir l’odeur du sang et saliver à l’idée de porter un coup fatal à la promotion de l’alcool en dépanneur.

Dans son mémoire concernant le projet de loi 170, l’Institut national de la Santé publique (INSPQ) dénonçait l’impact des publicités d’alcool dans les médias sociaux et recommandait la mesure draconienne suivante que le gouvernement d’alors semblait déjà avoir achetée:

« Revoir en profondeur le Règlement sur la promotion, la publicité et les programmes éducatifs en matière de boissons alcooliques (…) en y précisant (…) l’obligation de faire approuver les publicités diffusées dans les médias sociaux et à l’actualiser en fonction de la réalité d’aujourd’hui selon deux objectifs : protéger les mineurs et favoriser une consommation responsable. » — Mémoire de l’INSPQ au projet de loi 170

Et pour ceux qui se croient à l’abri du fait que les messages publiés sur Facebook ne sont pas de la publicité mais bien du contenu éditorial, détrompez-vous. Même si vous ne payez rien pour les diffuser (d’ailleurs Facebook n’accepte pas les publicités sur l’alcool, ou très peu), le gouvernement s’apprête à classer ce type de messages comme étant du contenu publicitaire, tel que lui demande expressément l’INSPQ dans son rapport sur l’enjeu des boissons sucrées alcoolisées.

« Enfin, l’application du règlement sur la promotion, la publicité et les programmes éducatifs en matière de boissons alcooliques doit considérer que les messages publiés dans les pages et les comptes commerciaux des médias sociaux, incluant les commentaires des internautes, sont du contenu publicitaire. » — Intoxications aiguës à l’alcool et boissons sucrées alcoolisées, INSPQ, page 2

Voyez, c’est bien écrit noir sur blanc: « incluant les commentaires des internautes »! Même ça, c’est de la publicité qui doit être réglementée aux yeux de ces grands génies de la bienséance. Question: sommes-nous au Québec ou à Cuba? Car pour la liberté d’expression, on repassera.

En résumé, ce que les pseudos scientifiques de l’INSPQ proposent ici est très clair: c’est de carrément baillonner les biéristes du Québec du fait qu’ils représentent une grave menace à la santé publique. Et bien entendu, tous les autres aussi du même acabit, dont les restaurateurs notamment.

Nos biéristes ne manquent pourtant pas d’humour, comme l’illustre cette vidéo

Pourparlers secrets, murmures et chuchotements

Ainsi, il se pourrait fort bien que dès l’an prochain, ce que vous voyez présentement comme foisonnement de messages sur la bière dans les médias sociaux — en particulier sur Facebook — se tarisse comme l’eau dans le Sahara sous l’étau bureaucratique de l’État du Québec.

Et même si les médias sociaux sont en général à l’abri de la réglementation parce que trop difficiles d’y faire appliquer les lois, les biéristes ne feront rien pour risquer de perdre leur permis d’épicerie et se conformeront d’emblée à tout diktat de la RACJ.

De sorte que la RACJ n’aura qu’à demander pour être exaucée. Et elle le sait.

N’est-ce pas tentant de réglementer dans ce temps-là?

Une telle contrainte pourrait prendre plusieurs formes: paperasse à remplir avant chaque publication, approbation obligatoire par un comité, code de conduite, liste de choses à ne plus dire ou ne plus faire, tout est possible.

Et chose rarissime mais combien habile: la RACJ a fait signer des formulaires de confidentialité aux groupes faisant partie de la consultation (voir le formulaire ici). Ainsi, lorsque la réalité de la réglementation projetée va venir frapper certains participants de front (exemple: toutes les publications Facebook devront être approuvées d’avance), ceux-ci ne pourront rien faire pour dénoncer cette volonté sur la place publique tant et aussi longtemps que les avis de la RACJ au gouvernement ne seront pas déposés et dévoilés… et à ce moment là, il sera trop tard.

Et si vous êtes sceptiques, lisez l’article 114 de la Loi sur les permis d’alcool.

Vous y verrez que la RACJ a absolument tous les droits et tous les pouvoirs d’adopter, par règlement, les normes qu’elle juge appropriées pour encadrer la promotion de l’alcool. Selon sa bonne volonté. Santé.

Ce serait fort dommage, quant à nous, de voir ainsi brimée la liberté d’expression de toute une génération de biéristes afin de régler un soi-disant problème qui, dans les faits, n’existe qu’entre les oreilles de quelques universitaires déconnectés et de lobbies dont les motifs sont douteux.

Adieu messages, photos, chansons, sketches, vidéos et autres mettant en valeur la bonne bière de chez nous disponibles juste à côté! Notre bon gouvernement vous trouve décidément trop dangereux pour la santé. Ouste!

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