EXCLUSIF — La police du tabac interroge les commis fautifs pour mieux piéger les détaillants

Après la hausse fulgurante des inspections pièges (près de 5000 par année), celle des amendes (500% pour les amendes minimales et 3150% pour les maximales) et malgré que 90% des détaillants plaident coupable en général, l’appétit du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) à réprimer TOUS les détaillants pris en défaut, jusqu’au dernier, semble insatiable au point où les moyens employés ne sont jamais suffisants.

Ainsi, DepQuébec a appris en exclusivité que depuis l’an dernier, les inspecteurs de la police du tabac sous ordre du MSSS ont reçu pour instructions de procéder à un interrogatoire en règle des commis de dépanneur pris en défaut de vente à un mineur afin de leur soutirer des informations visant à incriminer leur employeur au cas où ce dernier choisirait de se défendre en cour et de plaider la « diligence raisonnable », soit le fait d’avoir pris toutes les précautions possibles pour éviter l’infraction.

Le questionnaire utilisé à cette fin — dont DepQuébec a obtenu copie — est spécifiquement conçu pour épingler les détaillants et saper leur défense alors que l’employé soumis à l’interrogatoire de l’inspecteur et placé dans un état de vulnérabilité n’est jamais avisé de ses droits ou encore, mis en garde quant à la portée de ses déclarations et quant au fait que de telles déclarations pourraient l’obliger à venir témoigner en cour… contre son employeur!

Un interrogatoire en règle

Lorsque les inspections pièges prennent en défaut un détaillant de tabac, le MSSS poursuit l’exploitant du commerce mais aussi, s’il le souhaite, le commis qui a fait la faute. À ce moment là, l’inspecteur se doit d’entrer dans le magasin immédiatement après le geste afin d’identifier formellement le commis et lui remettre un constat portable.

Or, c’est à ce moment précis que la nouvelle procédure se met en place. Ainsi, plutôt que de simplement demander une pièce d’identité, l’inspecteur profite de l’occasion pour interroger le commis sur les pratiques de diligence raisonnable du commerçant dans le but de mieux attaquer ce dernier advenant qu’il tente de se défendre en cour, une manoeuvre qui se prête à toutes sortes d’abus comme nous le verrons plus loin.

À cette fin, le MSSS a mis à la disposition de ses inspecteurs un questionnaire à utiliser et dont l’objectif poursuivi est évident.

Celui-ci comprend 14 questions dont deux servent à cerner le profil de l’employé et 12 à soutirer des informations incriminantes sur la diligence raisonnable de l’employeur et qui pourront être utilisées contre lui au tribunal, comme par exemple :

  • Question 3: Concernant la vente de tabac aux mineurs, expliquez-moi les directives de votre employeur?
  • Question 6: Comment votre employeur s’assure que vous avez compris ses directives?
  • Question 8: Est-ce que votre employeur a regardé avec vous la Loi concernant la lutte contre le tabagisme?
  • Question 14: Que ferait votre employeur si vous ou l’un de vos collegues vendiez du tabac à un mineur?
Le questionnaire obtenu en exclusivité par DepQuébec et disponible dans la Zone Prodep a été conçu pour être utilisé par les inspecteurs de la police du tabac. L’outil sert essentiellement à soutirer aux commis vulnérables des informations stratégiques visant à attaquer la défense et la crédibilité du détaillant advenant que ce dernier tente sa chance en allant plaider sa diligence raisonnable au tribunal qui lui permettrait, si elle est démontrée, d’être acquitté de l’accusation.

Cette déclaration de l’employé, qu’elle soit signée ou non, ne constitue pas une preuve en soi. Toutefois, dans l’éventualité d’un procès, le procureur pourrait forcer l’employé à témoigner et le confronter, sous serment, à ses déclarations, mettant ainsi à mal la plaidoirie du commerçant quant à ses pratiques irréprochables pour prévenir l’infraction.

D’autant plus que dans bien des cas, ce sont les détaillants eux-mêmes qui ont avantage à faire témoigner les employés fautifs… une arme qui devient alors à deux tranchants compte-tenu des déclarations soumises par l’employé à l’inspecteur alors qu’il était sous pression.

Contraints à révéler des failles

Cette procédure fort discutable sur le plan de l’éthique ouvre la porte aux abus comme a pu le constater DepQuébec sur la base d’un témoignage digne de foi.

Ainsi, le 3 juillet dernier, une commis caissière d’une station-service Canadian Tire à Sherbrooke vend par mégarde du tabac à une inspectrice mineure.

Louise Lemieux travaille alors pour sa fille Mélanie Chenail, gestionnaire du commerce, qui est la première à voir surgir un individu s’identifiant comme inspecteur du MSSS et annonçant qu’une infraction vient d’être commise par l’employée.

Ce dernier exige alors d’être seul avec l’employée — sans la présence de l’employeur — de sorte que les deux s’isolent dans le petit bureau à l’arrière du commerce.

Les 30 minutes suivantes n’ont pas été de tout repos aux dires de l’employée.

Il était très agressif, très arrogant. Un petit paquet de nerf, très nerveux et il ne m’écoutait même pas. Je lui répondais et il ne m’écoutait même pas, c’était juste lui. C’était juste lui qui avait raison. Moi, ma version à moi, ça l’importait peu. — Louise Lemieux

Outre le ton et l’attitude de l’inspecteur (que nous ne nommerons pas), ce dernier aurait proféré des faussetés dans le but évident de déstabiliser la commis-caissière.

Il m’a demandé mes pièces d’identité et là il m’a dit: « Vous savez, madame, vous venez de commettre une grave erreur criminelle. Vous n’aurez pas le droit d’aller aux États-Unis et vous allez avoir un dossier criminel et ça, ça peut trainer longtemps dans votre vie. » – Louise Lemieux

Or, l’inspecteur ne pouvait ignorer qu’une infraction de cette nature est pénale et non criminelle, de sorte qu’elle n’entraîne ni casier judiciaire, ni interdiction de séjour dans aucun pays. L’équivalent en somme d’un billet de stationnement. Il aurait donc vraisemblablement menti dans le but de lui soutirer plus facilement des renseignements. Ce qui a bien fonctionné.

Je lui ai repondu : je ne suis pas une criminelle, je ne l’ai pas tuée moi elle. Je lui ai vendu un paquet de cigarette! — Louise Lemieux

En juillet dernier, Louise Lemieux (à gauche) travaillait à la caisse pour sa fille Mélanie Chenail (à droite) quand elle a vendu par mégarde du tabac à une inspectrice mineure. L’inspecteur adulte qui l’accompagnait est alors entré dans le magasin, s’est identifié, a exigé d’être seul avec l’employée pour ensuite lui affirmer (faussement) qu’elle venait de commettre un délit criminel grave qui l’empêcherait de voyager aux États-Unis et ce, juste avant de lui poser une série de questions sur la diligence raisonnable de son employeur.

Comme de fait, une bonne partie de l’entrevue a ensuite porté sur les pratiques de diligence raisonnable de l’employeur.

Il me posait plein de questions. Si j’avais fait des formations… je lui ai dit oui, je fais mes confirmations à toutes les années. Combien ça fait d’années que je travaillais là, si j’avais eu des contrôles, des questions comme ça. — Louise Lemieux

L’employée ajoute n’avoir rien fait ou dit qui ait pu provoquer l’ire de l’inspecteur ou encore, justifier une telle agressivité de sa part. Et comme il ne prenait aucune note sur les questions de diligence raisonnable, elle a eu la forte impression qu’elle était enregistrée à son insu.

Ne rien déclarer est toujours préférable

Tous les avocats consultés vous le diront: en cas d’arrestation ou autre, vous êtes toujours mieux de limiter vos déclarations au minimum c’est-à-dire, à décliner votre identité et c’est tout.

Un silence ne peut jamais être incriminant mais toute déclaration pourrait l’être.

À ce sujet, le professeur de droit James Duane, de la Regent University School of Law dans l’État de la Virginie, aux États-Unis, a mis en ligne une vidéo fort populaire sur YouTube (plus de 3 millions de vues) sur le fait qu’il ne faut jamais, en aucune circonstance, faire de déclarations à un policier, un agent du gouvernement ou autre si vous êtes suspecté de quoi que ce soit, que vous soyez innocent ou non.

Parmi les raisons invoquées se trouve le fait que les déclarations faites ne peuvent en aucun cas servir votre cause et bien au contraire, ouvrir la porte à toutes sortes d’erreur qui vont venir vous rattraper plus tard et empirer votre situation.

Les détaillants ne doivent donc pas hésiter une seconde et aviser leurs employés qu’en cas d’interrogatoire suite à une infraction, ils ont intérêt — et le droit — de garder le silence mis à part le fait de décliner leur identité en remettant un permis de conduire ou une carte d’assurance maladie.

Ce silence leur permettra non seulement de protéger les intérêts de leur employeur mais aussi le leur étant donné que toute déclaration pourrait leur valoir une obligation d’aller témoigner en cour.

La question qui se pose toutefois est la suivante: le MSSS n’en fait-il pas trop et assistons-nous, de plus en plus, à un véritable acharnement répressif contre de simples commerçants honnêtes et travaillants qui tentent du mieux possible de respecter les lois?

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