EXCLUSIF — Le MSSS a lancé et financé le lobby anti-tabac pour “occuper le terrain politique”
Seriez-vous choqués d’apprendre que parmi les 38,5 milliards $ d’argent public investis l’an dernier dans le système de santé, une infime partie aurait possiblement servi à financer en cachette un groupe de lobbying qui prétend faussement agir de manière indépendante mais qui, dans les fait, servirait de paravent à des stratèges de la haute fonction publique pour qui la fin justifie les moyens?
Ou encore que c’est le Ministère de la Santé et des services sociaux (MSSS) ainsi que 18 DSP (Direction de la Santé publique régionale) qui ont “approuvé la consultation” sur la plate-forme de revendications de ce même groupe de lobby créé dans l’optique “d’organiser les appuis sur le terrain politique” ainsi que de mobiliser les ressources de l’ensemble du réseau de la santé à des fins de pression politique?
Ces allégations extraordinaires ressortent d’une correspondance volumineuse — voire torride et sirupeuse — qui s’étale sur deux ans entre fonctionnaires du MSSS et le principal groupe de lobby anti-tabac du Québec, soit la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT). Cet échange de courriels secrets a été rendu public la semaine dernière par le MSSS suite à une demande d’accès à l’information provenant d’un tiers anonyme.
Lunches, appels conférences, réunions, rencontres à l’extérieur, tutoiement, partage d’information, demandes de part et d’autres et surtout, grande présentation d’un vaste plan d’intégration de la CQCT au sein de l’ensemble de réseau sont au menu ce qu’on pourrait qualifier de véritable buffet ouvert du lobbyisme québécois face auquel, disons-le franchement, on ne ne sait plus trop où commence le lobby anti-tabac et où finit le ministère tant les deux sont étroitement liés… et d’autant plus que selon les courriels dévoilés, l’un émane de l’autre!
Financement du lobby par le MSSS: c’est confirmé
La lecture des 128 pages de correspondance qu’on peut télécharger en cliquant ICI donne toute la mesure de la vaste influence dont jouit le lobby anti-tabac au Québec.
Ainsi, qu’il s’agisse de maintenir les fonctionnaires au courant des enjeux de la nouvelle loi fédérale sur les paquets neutres, de mobiliser les gestionnaires du réseau à participer aux consultations fédérales ou encore, de faire pression sur le ministre des Finances afin qu’il hausse encore plus les taxes déjà excessivement élevées sur le tabac, les échanges secrets publiés révèlent l’ampleur de la collaboration stratégique et des liens étroits et fraternels qui unissent le MSSS à ce groupe de lobby.
“On te reviens avec une suggestion, proche de l’hôtel, pour vers 18h45, le temps que tu puisses t’installer dans ta chambre d’hôtel… Est-ce que tu peux me donner ton cell au cas où? Le mien c’est … et Flory c’est …. À bientôt!” — Courriel de Heidi Rathjen, cofondatrice CQCT à André Marchand, coordonnateur de la lutte contre le tabagisme par intérim du MSSS, qui montre la forte complicité unissant ces deux entités.
Au coeur de cette abondance de mots doux se cache une véritable pépite d’or en page 59, dans une présentation powerpoint transmise par Mme Rathjen elle-même au MSSS en prévision d’une réunion tenue dans ses bureaux le 8 novembre dernier avec quatre fonctionnaires et dont l’agenda consistait essentiellement à leur soumettre “une proposition de partage de la CQCT avec le réseau de la santé publique”, rien de moins.
Voulant sans doute se rapprocher des intervenants et se sentant à l’abri des regards — le lobby écrit noir sur blanc qu’il a été créé dans la foulée d’un mouvement financé par 18 Directions de la santé publique (DSP) ainsi que le MSSS lui-même qui ont “reconnu le besoin d’organiser les appuis sur le terrain politique”.
Cette admission incroyable, faite pour la première fois par la cofondatrice du mouvement, signifie dans les faits que la fonction publique a adopté un agenda politique secret dans les années 1990 pour financer en catimini des activités de lobbying menées par un groupe paravent et ce, avec l’argent des contribuables.
Mais ce n’est pas tout. La présentation révèle ensuite que le MSSS et ses divisions ont ensuite donné leur approbation pour que la CQCT consulte des tiers afin de rédiger sa plate-forme.
Autrement dit, si on en croit la CQCT, le MSSS et ses divisions se sont chargés à l’origine du financement d’un mouvement de lobby politique et ce, en violation du devoir de réserve de la fonction publique et bien entendu, en utilisant l’argent des contribuables, une réalité longtemps suspectée mais encore jamais admise ou établie avant aujourd’hui.
Et dans un deuxième temps, comme par hasard, on apprend que ce même MSSS et ces mêmes 18 DSP ont la main haute sur la plate-forme de la Coalition qui est née dans la foulée de ce mouvement. Se pourrait-il donc que ce mouvement en question soit la Coalition elle-même? Et que la Coalition elle-même ait été financée par le MSSS ? Poser la question, c’est y répondre.
D’un “mouvement” financé par le MSSS à la Coalition
Les implications de ces révélations sont énormes et soulèvent de nombreuses questions quant au rôle véritable, passé et présent, du MSSS vis-à-vis le financement du lobby anti-tabac au Québec.
- Qui, au sein du MSSS et des DSP, a tiré les ficelles de toute cette affaire de création d’un lobby politique?
- Qui a approuvé la plate-forme de la CQCT ou le principe d’une consultation?
- Combien d’argent ont été dépensés par le MSSS pour ce mouvement et par qui? Comment ces fonds ont-ils transité et où ont-ils abouti?
- La Coalition a-t-elle bénéficié de ce financement par le MSSS et ses 18 DSP à l’époque et en jouit-elle toujours aujourd’hui?
- Quel est le rôle de l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ), qui parraine la CQCT depuis ses débuts. A-t-elle entrepris ce projet sur demande du MSSS?
- Le MSSS s’est-il engagé envers l’ASPQ pour assurer un financement récurrent de la CQCT? Si oui, comment et par quel programme?
- L’ASPQ reçoit des millions de dollars de Québec chaque année pour divers programmes de sensibilisation. Se pourrait-il qu’une partie de ces fonds soient détournés pour défrayer les dépenses de lobbying?
- Existe-t-il un modus vivendi secret entre le MSSS et l’ASPQ pour lui transférer des fonds visant à couvrir les frais de la CQCT?
- Comment alors la CQCT fait-elle pour couvrir ses frais alors que selon son document, ses 475 endosseurs officiels n’ont pas à payer de membership mais simplement à signer une résolution?
- Quelles sont ces sources de financement et comment peut-elle assurer le public que ses fonds ne proviennent pas d’argent des contribuables?
Une “association comme les autres”
Appelée à commenter les apparences de connivence et de complicité qui ressortent de manière évidente de la volumineuse correspondance rendue publique, le MSSS a minimisé la chose.
La CQCT est parrainée par l’Association des intervenants en dépendance du Québec (AIDQ), qui est une association autonome. Les employés du MSSS, dans le cadre de leur travail, sont appelés à échanger avec des associations diverses. Cela n’est pas unique à la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac. — Marie-Claude Lacasse, porte-parole du MSSS
Peut-être bien, mais il reste que placer la CQCT sur le même pied que l’Association québécoise de l’épilepsie ou encore, le regroupement des aidants naturels de la Montérégie est trompeur. La CQCT est dans une catégorie à part et nul mieux que le journal Info-Tabac pour résumer son rôle et sa mission :
La Coalition milite principalement pour l’adoption, par les gouvernements du Québec et du Canada, de lois, de règlements et de mesures antitabac efficaces. – Info-Tabac
De fait, sa seule et unique mission consiste à faire du lobbying politique pour, entre autres et justement, décharger les autres associations de ce fardeau “sale”.
Oui, mais c’est pour une bonne cause voyons!
Donc, nous nous retrouvons avec quoi? Avec l’admission faite pour la première fois que le lobby anti-tabac au Québec résulte d’un activisme politique secret et de financement occulte de la part d’un groupe de haut-fonctionnaires du réseau public de la santé et que cette situation perdure possiblement depuis plus de 20 ans.
Certains, voire même plusieurs, ne s’en formaliseront pas du fait que la lutte au tabagisme est une bonne cause. Certes, fumer est très mauvais pour la santé et le lobby a sans doute contribué à préserver la santé des Québécois.
Mais ce dont on est témoin ici relèverait d’un abus de pouvoir émanant d’une fonction publique toute puissante qui aurait décidé que la fin justifie les moyens. C’est totalement inacceptable.
Aussi, comment s’étonner, dès lors, de l’influence hors-du-commun acquise au fil des ans par le lobby anti-tabac, face auquel les politiciens n’ose plus rien dire et au point où ce sont maintenant les tribunaux qui doivent prendre la relève pour mettre un terme aux abus sur les droits et libertés, comme ce fut le cas le mois dernier alors que la Cour Supérieure a dû exiger au gouvernement du Québec de refaire certains articles de la loi sur le tabac considérés comme allant beaucoup trop loin?
Fonds secrets, manigance de la fonction publique, manipulation politique, implication de fonctionnaires dans du lobbying… ouf!
Désolé, mais ça sent encore plus mauvais que l’odeur d’une cigarette.
Espérons seulement que l’UPAC — si elle sert encore à quelque chose — veuille bien se mettre le nez dans cette affaire pour en faire toute la lumière.