EXCLUSIF: La RACJ a sous-estimé à répétition les hausses de prix minimums de la bière depuis 1995
Les brasseurs, les détaillants biéristes ainsi que l’ensemble de l’industrie de la bière au Québec dont l’écosystème fournit de l’emploi à des milliers de personnes ont vu s’échapper des millions de dollars en manque à gagner depuis bientôt 30 ans à cause de la méthode imprécise et non conforme avec laquelle la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) indexe les prix minimums de la bière au 1er avril de chaque année.
En effet, la loi ordonne à la RACJ d’augmenter les prix minimums de la bière chaque année en se basant sur l’indice des prix à la consommation annuel de l’année précédente établi par Statistique Canada (StatCan) pour l’ensemble du pays.
Mais plutôt que d’appliquer le règlement à la lettre en utilisant la méthode d’indexation mathématique recommandée par StatCan dans son Guide officiel d’utilisation de l’IPC (voir encadré ci-contre), la RACJ utilise depuis toujours sa propre méthode, une manière intuitive et brouillonne qui calcule la hausse selon le taux d’inflation annuel arrondi à une décimale près ce qui, vérifications faites, a lourdement pénalisé l’industrie depuis trois décennies en la privant de revenus tangibles auxquels elle avait légitimement droit en fonction de la loi.
Ainsi, en 2020, la Régie a augmenté les prix minimums de la bière de 1,9% seulement alors que le taux d’inflation réel de l’année précédente (2019) était de 1,949%, privant de fait l’industrie de presque 0,05% d’augmentation additionnelle. Idem pour la hausse de cette année: pour une inflation de 0,735% en 2020, elle a décrété une hausse de 0,7% seulement, laissant de côté — sans aucune raison ni justification probante — une portion substantielle de 0,035%.
Or, c’est pour éviter ces imprécisions que StatCan recommande, lorsqu’il s’agit notamment d’indexer des montants d’argent, une méthode de calcul d’une simplicité désarmante. Une méthode que visiblement, les fonctionnaires de la RACJ auraient eu grand intérêt à connaître et à utiliser plutôt que de s’improviser spécialistes en la matière!
Un effet tangible sur les prix au détail
Bien que minimes en apparence, les fractions de pourcentage négligemment oblitérés par la RACJ n’en ont pas moins un impact tangible sur les prix de même que les revenus des détaillants et de l’industrie dans son ensemble compte-tenu des volumes colossaux de bière vendus au Québec.
Un simple calcul le démontre aisément. Ainsi, une augmentation de seulement 0,01% sur le prix minimum actuel de la Budweiser (3,4249$/L) élève de deux tiers de sou le prix plancher d’une caisse de 60 canettes qui compte 21,3 litres de bière.
Cela signifie qu’en effaçant 0.05% de hausse en 2019, la RACJ a engendré un manque à gagner de 4 cents environ sur chaque caisse de 60 canettes vendue de Budweiser. Mais ce n’est pas tout!
S’ils se suivent dans le temps ou, à tout le moins, ne sont pas neutralisés, ces arrondissements vers le bas s’additionnent et amplifient le manque à gagner. Par exemple, si durant deux années de suite, le taux d’inflation final fait en sorte que la RACJ doit arrondir vers le bas (ex: 1,945% arrondi à 1,9%), cela va possiblement doubler le manque à gagner des détaillants. Et c’est exactement ce qu’on voit se produire présentement, en particulier cette année qui devrait marquer un sommet dans cette aberration.
En effet, selon nos estimations, les prix minimums de la bière en 2021 seront sous-estimés par la RACJ de 35 millièmes de dollar par litre, soit un manque à gagner d’environ 7 sous par caisse de 60 canettes de Budweiser et 6 sous par caisse de 48, les deux formats étant fréquemment offerts au prix minimum.
Des millions $ échappés à cause de la RACJ
Mis au fait de cette situation gênante par DepQuébec avec chiffres à l’appui, la RACJ n’a pas nié les allégations du portail No 1 des dépanneurs mais plutôt justifié ses façons de faire en indiquant se baser sur les chiffres de StatCan.
« La Régie utilise l’indice des prix à la consommation pour le Canada disponible sur Statistique Canada qui arrondit à 1 chiffre après la virgule. Par conséquent nos chiffres sont conformes au tableau de Statistique Canada. » — Joyce Tremblay, porte-parole de la RACJ
Cette réponse semble comporter une certaine confusion car dans ses façons de faire, la RACJ n’utilise justement pas les indices — ce qu’elle devrait pourtant faire — mais uniquement la variation annuelle à une décimale près de ces derniers publiée par StatCan chaque année.
Or, cela va non seulement à l’encontre des recommandations de l’organisme fédéral mais aussi, de la réglementation comme telle que la Régie a pour mission d’appliquer.
« Ces prix minimums sont ajustés au 1er avril de chaque année selon l’évolution de l’indice des prix à la consommation pour le Canada couvrant la période du 1er janvier au 31 décembre de l’année précédente, tel qu’établi par Statistique Canada. » — Réglement #18 sur la Promotion, la publicité et les programmes éducatifs en matière de boissons alcooliques de la Loi sur les permis d’alcool
Si le mot « établi » dans le réglement était conjugué au féminin pour référer à « l’évolution » plutôt qu’à « l’indice », alors possiblement que la Régie aurait un argument pour se référer au taux d’inflation publié par StatCan plutôt qu’à ses indices. Mais la loi est bien faite et réfère précisément aux indices, comme il se doit. Il n’y a donc rien pour justifier de commettre des arrondissements coûteux vers le bas qu’on pourrait somme toute qualifier ici, tout simplement, de « taxe déguisée à l’incompétence ».
De l’argent qui va aux détaillants
Cette taxe déguisée à l’incompétence risque fort de se transformer en taxe de l’arrogance si la RACJ persiste à ne pas vouloir changer ses façons de faire.
Les manques à gagner subis par les détaillants — aussi minimes soit-ils— sont tangibles et tout en entier la faute des méthodes brouillonnes de la RACJ .
Par ses agissements, l’organisme a privé l’industrie des bénéfices pleins et entiers auxquels elle a droit en vertu de la présente réglementation des prix minimums de la bière à la hauteur de l’inflation canadienne. Cela devrait naturellement inciter l’organisme réglementaire à vouloir corriger la situation et non pas à chercher à défendre à tout crin ses façons de faire injustifiables depuis 30 ans ou encore, affirmer à tort qu’elle a raison.
On peut certes comprendre que personne n’ait été de mauvaise foi dans cette affaire, mais erreur il y a. La moindre des choses pour la RACJ serait de l’admettre ouvertement et travailler avec l’industrie pour voir comment elle pourrait être compensée au bénéfice de ceux qui en ont été les victimes, à commencer par les biéristes.
Ce pourrait être, par exemple, une hausse temporaire ou permanente du prix minimum qui permettrait aux détaillants de se refaire un peu tout en contribuant davantage à l’objectif de santé publique qui est de rendre ce produit moins accessibles aux jeunes.
Chose certaine, un organisme réglementaire comme la RACJ a pour devoir premier d’appliquer la loi de manière juste et équilibrée. On voit malheureusement qu’ici, elle a mal fait son travail et entraîné des conséquences financières fâcheuses pour des milliers de détaillants honnêtes qui se battent tous les jours pour demeurer en vie, un sou à la fois.
Cette situation n’est tout simplement pas acceptable.