EXCLUSIF — Magasins de bière permis au Québec? DepQuébec et RACJ s’affrontent sur le mot « variété »

Un affrontement épique se déroule présentement dans l’ombre entre DepQuébec, un portail web d’information pour les dépanneurs et les hautes instances juridiques de la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) quant à la portée légale du mot « variété ».

Oui, vous avez bien lu.

L’enjeu n’est pas mince toutefois car c’est à savoir si oui ou non la réglementation actuelle permet l’exploitation de véritables « magasins de bière » au Québec comme on en voit en Ontario.

En effet, DepQuébec publiait à ce sujet un article plutôt choc la semaine dernière sur les conditions relatives à l’obtention d’un permis d’alcool pour dépanneurs et épiceries.

Le portail expliquait, en se fondant sur une recherche rigoureuse, que le fameux règlement du « 51% de produits alimentaires » — qui est très mal compris en général — permet en fait aux détaillants de vendre bière et vin sans aliment ou presque.

Étant donné que le minimum requis de produits alimentaires est de 3000$, il suffit de garder en magasin une boîte de caviar à 2500$ et deux sachets de café à 300$ chaque (ça existe et c’est disponible sur Amazon.ca – voir l’article) et voilà, vous êtes en règle et pouvez vendre toute la bière et le vin que vous souhaitez sans plus vous soucier une seconde de commander des bananes, des fromages, du pain ou quoi que ce soit qui se mange.

Comme il fallait s’y attendre, la RACJ ne partage pas du tout cette interprétation.

DepQuébec prétend que la réglementation actuelle permet l’ouverture de magasins de bière au Québec comme en Ontario (voir photo) car il suffit à un détaillant de tenir trois articles alimentaires valant 3000$ pour être en loi. La Régie se dit farouchement opposée à cette interprétation et s’est engagée à nous en fournir la preuve. Celle-ci, toutefois, tarde à venir, si jamais même elle vient un jour.

Dans la foulée de notre article, la Régie aurait reçu de nombreux appels de gens de l’industrie demandant à confirmer nos affirmations solidement fondées (une réaction qui, vous noterez, témoigne de l’impact indéniable de ce portail).

Lundi dernier, un des hauts responsables de la Régie (dont nous taierons le nom) a donc contacté l’auteur de ces lignes afin de l’inviter à rectifier les faits.

Après l’avoir assuré que ce serait le cas si la chose était fondée, une discussion intense s’est alors ensuivie dont nous vous résumons l’essentiel ici.

La Régie : Il n’y a pas une chance sur mille que nous approuvions un permis d’alcool pour un dépanneur qui vendrait seulement une canne de caviar et deux sachets de café!

DepQuébec : Et pourquoi donc? Le total dépasse 3000 $ de valeur au détail. C’est la seule chose qui compte, la valeur au détail.

La Régie : Non : ça prend « une variété de produits alimentaires de 3 000 $ ».

DepQuébec : Vraiment? Une variété? Et ça veut dire combien de sortes différentes ça, une « variété »? Avez-vous un chiffre?

La Régie : Euh… un expert va vous revenir.

Fin de la conversation. C’était il y a trois jours.

Comme on le voit, l’argumentaire de la Régie repose entièrement sur la notion vague et floue de « variété ». C’est le seul élément en fait qui pourrait justifier un refus. Or, voici la définition officielle du mot dans le Larousse :

Variété : Caractère de quelque chose dont les éléments sont divers, différents : La variété de la végétation dans un jardin. – Dictionnaire Larousse

« Quelque chose dont les éléments sont divers ». Il n’y a rien dans cette définition qui oblige à une grande multitude. Une pluralité certes, mais une multitude, non.

Dans une offre alimentaire faite d’une boîte de caviar et de deux sachets de café, on retrouve trois items recoupant deux catégories différentes. Techniquement parlant, nous sommes bel et bien en présence d’une variété d’aliments, car il y en a plus qu’un.

Imaginons maintenant que la RACJ refuse une demande de permis sur cette base à un dépanneur qui aurait suivi notre conseil et que ce dernier conteste cette décision au tribunal.

La Régie : Votre honneur, « une variété de produits alimentaires » désigne un étalage avec de multiples produits alimentaires, et pas seulement quelques-uns. On ne peut accepter cette demande même si le total dépasse effectivement 3,000 $.

La défense : Votre honneur, c’est tout à fait ridicule. Imaginez. Nous convenons tous que 300 sauces différentes à 10$, c’est de la variété, n’est-ce pas? Et 100 sauces à 30$… c’est très varié aussi. 50 sauces à 60$, c’est pas mal varié. 25 sauces à 120$ c’est moins varié mais encore assez. Que dire de 10 sauces à 300$? Il y a toujours bien une certaine variété là-dedans, vous ne trouvez pas? Alors c’est quoi le chiffre magique en bas duquel le mot « variété » ne s’applique plus? 9? 8? 5? 3 et demi? Et au nom du ciel, qui est assez intelligent sur terre pour le déterminer de manière absolue? Votre honneur, c’est en réalité très simple : à partir du moment où il y a pluralité de produits et de sortes, il y a bel et bien variété, point à la ligne. Je vous prie de renverser cette décision malavisée et d’accorder le permis à mon client, comme il se doit.

Verdict? Qu’en pensez-vous?

Pour notre part, il nous apparaît clairement avoir mis le doigt sur une faille béante dans la réglementation. Or, pour la colmater, il faudrait sans doute modifier la loi, chose qui prendra au minimum quelques années, voire peut-être même davantage.

La loi donne à la Régie le pouvoir de modifier certains règlements par elle-même, sans passer par l’Assemblée nationale, mais ce pouvoir est circonscrit dans une liste bien précise (voir ici) qui, à première vue, n’inclut pas les conditions selon lesquelles un permis d’alcool peut être ou non délivré à une épicerie. Mais bien sûr, si elle le voulait, la Régie pourrait décider d’agir quand même quitte à devoir se défendre ensuite jusqu’en Cour Suprême. Sauf qu’elle devra bien entendu justifier ses agissements de manière convaincante sur la place publique.

Amis entrepreneurs : n’est-ce pas une belle opportunité? Ce serait fantastique de voir apparaître de véritables magasins de bière au Québec! Ce pourrait aussi être une porte de sortie pour nombre de dépanneurs aux prises avec des revenus déclinants et des coûts augmentant.

Ceux et celles qui s’en seront prévalus à temps auront peut-être un droit acquis une fois que la loi sera révisée, si elle l’est. Qui sait?

Et en attendant, trois jours plus tard, le fameux expert de la RACJ ne s’était toujours pas manifesté… à suivre.

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