Déroutée et impuissante, la police du tabac du MSSS bénit les vapoteries qui vendent des saveurs

C’est le monde à l’envers.

Réputée et crainte pour sa sévérité en général, la police du tabac semble avoir perdu le nord dans le dossier des saveurs de vapotage et ce, à l’image du premier ministre Legault et de l’ensemble de son gouvernement.

Contre toute attente, elle est en train non pas de sévir à qui mieux mieux, mais bien de bénir, ni plus ni moins, les boutiques de vapotage qui vendent des saveurs visant à être mélangées aux liquides de vapotage et ce, malgré la nouvelle interdiction en ce sens.

Grâce à la loi d’accès à l’information, en effet, DepQuébec a pu mettre la main, en primeur, sur les 400 premiers rapports d’inspection effectués par le MSSS auprès de commerçants de produits du tabac depuis l’entrée en vigueur de l’interdiction de vente des saveurs, le 31 octobre 2023.

Or, loin de dépeindre une action vigoureuse pour retirer les saveurs du marché, ces documents révèlent une indulgence pour le moins surprenante envers les boutiques de vapotage qui proposent des « rehausseurs de saveur » juste à côté des cigarettes électroniques, dans un tour de passe-passe flirtant avec l’illégalité.

Cette astuce semble largement réussie puisque 98% des établissements offrant des saveurs ont reçu une attestation de conformité réglementaire alors qu’un seul s’est vu décerner une amende pour avoir suggéré une saveur avec l’achat d’un liquide de vapotage!

bénédiction des vapoteries par le msss
ALLEZ EN PAIX ET NE PÊCHEZ PLUS — Contre toute attente, les inspecteurs du MSSS bénissent les vapoteries qui offrent des rehausseurs de saveurs dans des magasins accessibles aux mineurs plutôt que de leur coller des amendes pour contourner aussi effrontément la loi.
Des inspecteurs déroutés, un ministre impuissant

Dès que les premiers questionnements ont fait surface quant à la stratégie audacieuse des vapoteries à contourner la loi, le ministre de la Santé, Christian Dubé, s’est fait rassurant. Au quotidien La Presse (voir ici), il a juré que 300 inspections étaient en cours et que chaque cas serait analysé à son mérite, les fautifs devant s’attendre à « des amendes substantielles ».

En réalité, c’est tout le contraire qui se produit : les fautifs reçoivent une tape dans le dos avec un petit clin d’oeil et un coup de coude du MSSS et débouchent le champagne en chantant de joie une fois l’inspecteur sorti du commerce.

D’abord, le MSSS dit avoir mené 423 inspections de détaillants entre le 31 octobre 2023 et le 24 janvier 2024 mais de ce nombre, seulement 240 ont été vérifiés pour l’article 29.2, soit celui concernant les saveurs.  Ensuite, sur les 240 commerces inspectés pour les saveurs, seulement 47 vapoteries étaient du nombre, dont 43 qui offrent des saveurs.

Donc, en résumé, en trois mois, le gouvernement n’a inspecté que 43 vapoteries offrant des saveurs. Et combien ont été mises à l’amende? Une seule.

Toutes les vapoteries sauf une sont sorties indemmes de l’inspection, libres de continuer à vendre des saveurs. De fait, sur les 42 en question, 36 ont été jugées « conformes » pour ce qui est des saveurs et 6 autres laissées tranquille pour cause de « preuve insuffisante ».

Ainsi, 42 vapoteries sur 43 qui offrent des saveurs ont reçu une forme d’attestation de conformité et se sont même fait remercier par l’inspecteur du MSSS pour leur gentille coopération.

conformité d'une vapoterie à vendre des savweures
UN ÉLÉPHANT DANS LA PIÈCE – Dans ce rapport typique d’inspection d’une vapoterie « conforme » à Laval, l’inspecteur note que le magasin est rempli de saveurs sans y prêter la moindre importance ou signification. Conclusion? Conforme!
On voudrait bien mais pas de preuve, alors…

Dans la vaste majorité des inspections de vapoteries avec rehausseurs de saveur, le MSSS juge « conforme » l’application du règlement 29.2 qui interdit la vente de saveurs de vapotage et ce, malgré le fait qu’on relève très souvent, et parfois avec agacement, la présence de tels produits en magasin.

Dans un rapport typique, l’inspecteur suivant note ce qui suit.

« Une visite a eu lieu après la modification des dispositions de la loi concernant la lutte contre le tabagisme, notamment la partie portant sur les arômes et les saveurs. Nous avons constaté la présence d’arômes alimentaires. Le tabac et les produits du tabac n’ont pas été exposés, car (…) l’exploitant a perdu son droit d’étalage. Notre inspection n’a révélé aucun manquement à la loi en question »

Ainsi, dans la mesure où le commerce s’abstient de vendre des liquides pré-aromatisés et qu’il n’étale pas les produits de vapotage à la vue de la clientèle parce qu’il est devenu ouvert au grand public, la présence de rehausseurs de saveur ne semble poser aucun problème aux inspecteurs. Le fait que ces rehausseurs ne servent à rien d’autre qu’à aromatiser les liquides de vapotage ne semble par les troubler outre mesure.

Dans un autre rapport donnant la bénédiction, l’inspecteur ne laisse aucun commentaire. Toutefois, dans les pièces versées au dossier, on retrouve les fichiers suivants:

  • SAVEURSALIMENTAIRES_1.jpg
  • SAVEURSALIMENTAIRES_2.jpg

D’où la question : pourquoi diable verser au dossier des photos de saveurs en magasin si le détaillant est jugé conforme?

Puis, on tombe sur les cas de « preuves insuffisantes » qui sont de loin les plus intéressants. Ici, l’inspecteur semble bien réaliser que la situation n’est pas légale mais juge qu’il n’a pas les outils nécessaires (ou l’autorité?) pour sévir.

Dans ce premier cas, un inspecteur ne banalise pas, comme ses collègues, la présence des saveurs sans toutefois ne rien faire de valable.

« Statut 29.2 : Preuve insuffisante. Nombreux liquides servant à aromatiser de l’eau, des pâtisseries et toutes d’autres choses »

Ainsi, selon cette interprétation, le fait de vendre des rehausseurs de saveurs est bel et bien un manquement en soi à la loi mais le problème est qu’il n’a pas ce qu’il faut comme preuve pour poursuivre le détaillant.

Un autre cas est encore plus patent.

« Statut 29.2 : Preuve insuffisante. Lors de ma visite, je me suis présenté comme un client ordinaire en essayant de savoir comment faire si je veux en acheter des produits de vapotage avec saveurs. XXXX (nom biffé) m’a donné le nom d’un site internet (emixologies.com) que je peux commander directement par virement interac. Elle m’a même proposé de faire la transaction sur place au magasin. Ils ont des saveurs étalées et elle m’a expliqué que je peux les mélanger avec les produits liquides tabac qui sont cachées dans des dispositifs en arrière du comptoir vitrées teintées noir. »

Ce site ‘emixologies’ est un site canadien anglophone de vente de produits de vapotage. Il offre une foule de produits aromatisés avec nicotine de tous les goûts et de toutes les concentrations : pêche glacée, pomme verte, bleuet melon, double framboise, etc. Ainsi, pour la modique somme de 25.99$ pour une bouteille de 30 ml, on peut se procurer une liquide de nicotine comprenant 20 mg/ml de sels de nicotine avec une saveur, au lieu de 36$ environ en vapoterie, soit 28$ pour le liquide et 8$ pour la saveur.

Évidemment, la vente de tels produits par internet est interdite au Québec et la promotion d’un tel site l’est tout autant, tout comme le fait d’associer les saveurs vendues en magasin au vapotage, ce qui en fait dès lors un accessoire à proprement dit, mais toutes ces considérations ont semble-t-il été trop compliquées pour l’inspecteur qui a conclu : preuve insuffisante.

Donc, le fait d’avoir été témoin de cette promotion et de s’être fait offrir des saveurs alors qu’il passait pour un simple client ne serait pas assez viable comme preuve pour réussir la condamnation du détaillant. Incroyable, non ? Que faudrait-il de plus … une caméra cachée ?

Au moins une qui met ses culottes

Enfin, une dernière situation qui rend la compréhension et la cohérence du MSSS encore plus difficile à saisir est cette inspectrice qui, elle, a décidé de sévir.

« Statut 29.2 : Non Conforme. Achat e-liquide, automatiquement le vendeur m’a offert un flavor shot. »

C’est à ne rien comprendre. Cette inspectrice, peut-être plus allumée que les autres, a émis un rapport d’infraction général pour ce commerce simplement pour avoir suggéré un rehausseur de saveur alors qu’elle posait comme une cliente. Tous les autres, dans pareille situation et avec même davantage d’infraction, ont estimé manquer de preuve, mais elle non. Avait-elle une caméra cachée ou encore, se fiait-t-elle seulement à son témoignage comme évidence à présenter en cour?

Le fait est que le comportement du MSSS à faire appliquer la loi est singulièrement incohérent, agit comme une forme de bénédiction et laisse entendre aux commerces visités qu’ils sont en loi et peuvent continuer sans crainte leurs activités en cours.

Comment le ministre Dubé peut-il dès lors s’en remettre à de tels inspecteurs pour faire appliquer sa loi?

Ça serait certes intéressant, voire cocasse si ce n’était des jeunes qui vont en profiter et des dépanneurs honnêtes qui vont voir leurs ventes de vapotage dégringoler.

Quel gâchis réglementaire! Un fiasco comme on en voit rarement avec des dommages collatéraux qui n’en finissent plus.

une vapoterie après le passage de la police du tabac
RÉACTION TYPIQUE d’une vapoterie offrant des saveurs après le passage d’un inspecteur du MSSS.

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