Tabac : Québec envisage la « géo-prohibition » près des écoles et dans les quartiers défavorisés
La lutte au tabagisme par le gouvernement du Québec a entamé un nouveau chapitre avec le dévoilement récent, le 29 mai dernier, de la Stratégie pour un Québec sans tabac 2020-2025 par nul autre que M. Horacio Arruda, directeur national de la santé publique devenue une vedette dans la foulée de la pandémie.
D’emblée, Québec se donne d’ambitieux objectifs dans le cadre de cette stratégie dont celui de réduire à 10% le taux de tabagisme au Québec d’ici 2025 alors que ce dernier se situait encore à 17,5% en 2018.
On parle donc ici d’une baisse visée de 43% du ratio fumeurs versus population et ce, sur une période de sept années seulement, soit du jamais vu!
Mais là où le bat blesse est que les détaillants sont en fait les principaux acteurs ciblés par les remèdes de cheval proposés par la santé publique et qui visent non pas à convaincre les fumeurs d’arrêter ou encore, leur proposer des alternatives comme le vapotage, mais bien plutôt à tenter d’étouffer la demande en resserrant l’offre et l’accessibilité du produit (voir chapitre 1.2: Réduire l’accessibilité géographique des produits du tabac).
Une stratégie finalement qui revient à de la prohibition subtile et insidieuse, mais sans le nom.
Car le resserrement de l’offre proposé passerait par une justification géographique, par exemple: un dépanneur situé près d’une école ou encore, dans un quartier pauvre, se verrait alors carrément interdire la vente de tabac et de vapotage.
De fait, il s’agirait d’un nouveau type de prohibition sophistiquée, savante et mathématique que DepQuébec a surnommé la « géo-prohibition ».
Et pour pouvoir mettre en place cette ségrégation basée sur le code postal, la santé publique propose d’instaurer un nouveau permis de vente de tabac accompagné d’un tarif de 250$ par magasin et cela, essentiellement pour savoir en tout temps qui vend quoi et où.
Or, ne soyons pas dupes car c’est bel et bien une ligne rouge qui vient d’être franchie ici par la santé publique, soit celle du contrôle de l’offre alimentaire au Québec, rien de moins!
Un nouveau sommet de paternalisme
Le recours à des moyens de plus en plus désespérés pour faire baisser la courbe du tabagisme relève bien entendu d’un constat d’échec lamentable que l’on refuse d’admettre.
D’emblée, le plus haut gradé de la santé publique tient à présenter un portrait édulcoré de la lutte au tabagisme au Québec pour bien montrer à quel point les actions menées pas les autorités sont éclairées et efficaces.
Le document présente ainsi, en guise d’introduction, une courbe qui donne nettement l’impression que la dépendance à la nicotine s’effondre sous l’effet de l’action gouvernementale.
Cependant, si on regarde le même graphique sous l’angle du nombre de fumeurs, on voit clairement que l’addition effrénée des lois et réglements au cours des 20 dernières années a donné des résultats extrêmement mitigés, notamment les hausses de taxes qui sont à l’origine d’une nouvelle vague de contrebande autochtone face à laquelle le Québec a répondu essentiellement en criminalisant sévèrement les Québécois tout en laissant agir les autochtones.
Extorquer les dépanneurs, c’est facile, commode et payant
Mais tandis que les réserves autochtones peuvent écouler leurs produits en paix et que les vendeurs de produits de vapotage en ligne font des affaires d’or sans se faire inquiéter — les deux étant hors de portée des inspecteurs du MSSS — ceux dont les magasins sont fixés sur le sol québécois émergent naturellement comme étant les boucs émissaires parfaits pour porter l’odieux des échecs lamentables de la santé publique soutenue par une approche idéologique et non basée sur les données probantes.
Autrement dit, c’est de la faute des dépanneurs et des détaillants si les gens sont dépendants à la nicotine. Loto-Québec, pour sa part, a un rôle noble à jouer pour empêcher l’émergence d’un marché noir de la loterie et ce, idem pour la Société québécoise du cannabis. Mais les dépanneurs, eux, n’ont pas ce même statut. Ce sont de vulgaires boutiquiers vus de très haut et avec grand mépris de la part des apparatchiks de la santé publique, comme l’indique l’extrait suivant d’une étude de l’Institut national de santé publique (INSPQ):
« Des études récentes au Québec ont tenté de vérifier si, dans le contexte de la législation québécoise, il serait possible de limiter la présence de commerces d’alimentation «nuisibles» aux saines habitudes de vie ». — L’environnement bâti autour des écoles, INSPQ, 2014, p. 37
Voilà, le mot est lancé. Une nuisance, voilà ce qu’ils sont. Et les nuisances, que voulez-vous, c’est comme de la vermine: il faut l’exterminer. Même si cette nuisance contribue à payer votre salaire.
Une pseudo science basée sur de la recherche dirigée
Cette pulsion politique — et non scientifique — est au coeur de l’action de la santé publique au Québec et il est peu surprenant, à cet égard, de constater à quel point le gouvernement ne fait aucun effort pour mesurer l’impact de ses lois et règlements mais tout au contraire, se lance dans une orgie de recherches pour justifier l’adoption de nouvelles mesures plus ou moins fantasques.
Quel a été par exemple l’impact de l’entrée en vigueur, en 2008, du règlement forçant les détaillants à cacher les produits du tabac à la vue des clients? A-t-on vérifié, sondé, cherché, mesuré, calculé et comparé cette mesure après son adoption pour en tirer des leçons, notamment par rapport aux bénéfices escomptés? Vous pouvez bien chercher, vous ne trouverez pas. De telles études n’ont aucun intérêt pour la santé publique parce que le règlement est déjà adopté, la « bataille » est donc déjà gagnée et il convient alors de passer à une autre.
Un échange révélateur de courriels à ce sujet (voir ici) a d’ailleurs été capté en septembre 2018 entre un fonctionnaire du MSSS responsable de la lutte au tabagisme (André Marchand) et le duo Heidi Rathjen et Flory Doucas, toutes deux dirigeantes de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac (CQCT), qu’on sait maintenant être une cellule clandestine de lobbying occulte créée dans le plus grand secret par le MSSS en 1996 pour influencer les élus à appuyer l’agenda prohibitionniste des directeurs de la santé publique face au tabac, au vapotage et au cannabis et tout cela, à même les fonds publics.
- André Marchand: « Bonjour à vous deux. J’espère que ça va bien. J’aurais une petite demande. Avez-vous produit récemment un graphique qui illustrait l’évolution du taux de tabagisme au Québec. Si oui, avez-vous produit aussi un graphique qui illustrait à la fois l’évolution du taux de tabagisme en incluant des événements marquants comme l’augmentation de taxes, l’adoption de loi sur ce même graphique. »
- Réponse : « Allo André… Nous n’avons malheureusement pas ce genre de graphique… mais nous avons fait une liste des mesures (dates = entrée en vigueur) daté de 2016… »
Bien sûr qu’elles n’ont pas ce graphique car il n’existe aucun lien démontrable entre les mesures adoptées et la baisse du tabagisme. En revanche, pour ce qui est de mesurer au pouce carré la proximité des dépanneurs près des écoles, l’INSPQ est sur le dossier depuis des années. Comme nous en faisions état dans l’article suivant publié l’automne dernier, le think tank de la santé publique qui reçoit 75 M$ par année se penche sur la question depuis le début de la décennie, développe des outils sophistiqués en ce sens et tout cela, tandis que la « branche armée » de l’ASPQ ratisse le terrain pour commencer à semer les graines de la géo-prohibition, notamment auprès des municipalités (voir ici).
La santé publique? Disons plutôt politique!
Cela fait 25 ans que Québec mise sur la prohibition: par le prix (hausse de taxes), la visibilité (emballages, marques et étagères) et les saveurs, notamment.
Et s’il est vrai que le tabagisme, durant cette période, a diminué de manière continue, il n’a pas baissé davantage qu’ailleurs, en particulier aux États-Unis où la réglementation est bien moins sévère tandis que le tabagisme y est beaucoup plus faible.
Chez nos voisins du sud, les étalages de cigarettes ne sont pas cachés à la vue des clients. Les paquets ne sont pas neutres. Les saveurs ne sont pas interdites. Et pourtant, ils fument moins qu’ici.
Il y a donc bien des nuances à faire et des leçons à tirer entre réduction du tabagisme et mesures de prohibition (surtout avec 300 cabanes à tabac à 15 minutes de Montréal), mais Québec, visiblement, ne souhaite pas faire dans la dentelle.
Interdire la vente de tabac aux dépanneurs dans des zones spécifiques équivaut à ouvrir une boîte de pandore. Une fois cette mesure lancée, plus rien n’arrêtera les visées de la santé publique dans l’offre alimentaire québécoise.
Après le tabac et le vapotage, ce seront les boissons sucrées, les croustilles, l’alcool et quoi d’autre. À long terme, les dépanneurs seront forcés, somme toute, de vendre de la salade ou fermer leurs portes.
Et pendant ce temps là, alors que sévit une grave pandémie et que la santé publique a un rôle de leadership à jouer, nous affichons le pire bilan au Canada tant en terme de décès qu’en terme de gestion de la contagion.
Tout cela pour dire que nos amis de la santé publique gagneraient sans doute à se préoccuper moins de lobbying politique et à se concentrer plus sur les sciences pures et appliquées.
Et quant aux dépanneurs situés près d’une école ou en zone défavorisée, ils ont intérêt à se doter d’un Plan B s’ils ne veulent pas se retrouver pris, à moyen terme, avec un magasin non rentable et impossible à vendre.
Nous seulement c’est injuste envers les détaillants, mais c’est aussi anticonstitutionnel si l’on songe que l’on restreint la liberté des consommateurs selon leur lieu de résidence et leur revenu. En viendrons-nous à dire que le vapotage est l’apanage des bien-nantis ? Jusqu’où ira l’injustice ?
Vous avez 100% raison et côté pratico-pratique, il est bien évident qu’un fumeur n’arrêtera pas tout simplement parce que le dépanneur d’à côté n’a plus le droit de vendre. Il ira chercher ses produits plus loin et fera même des kms s’il le faut. Tout ce que cette mesure accomplira est de déplacer la vente de plusieurs à quelques uns. C’est la pire mesure en fait qui soit pour soutenir le commerce de proximité.
Article très intéressant qui devrais etre publicisé sur les réseaux sociaux et
dirigé directement au responsable de ce projet de loi.