Le Commissaire souhaite étendre la Loi à tous les organismes incluant les Coalitions Tabac et Poids

lobbying occulte santé publiqueVéritable état dans l’état, la Santé publique au Québec est le bras politique du puissant ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Fort de ressources importantes, elle vise l’adoption de lois et règlements toujours plus restrictifs et prohibitifs.
Or, 30 ans après la création des Directions de Santé publique, son influence est écrasante et les lois, plus sèvères que jamais. Pourquoi?
Dans une série percutante intitulée «Le lobby occulte de la Santé publique» et qui résulte de plusieurs mois d’enquête ainsi que 500 demandes d’accès à l’information, DepQuébec révèle les dessous des pratiques douteuses et manipulatrices de lobbying occulte du gouvernement… par le gouvernement!
Aujourd’hui, le 7e volet porte sur la position du Commissaire au lobbyisme du Québec face à cet enjeu.

jf routhier lobby
Me Jean-François Routhier, Commissaire au lobbyisme du Québec

Dans une entrevue exclusive accordée à DepQuébec par écrit et en réaction à notre série d’enquête sur le lobbying occulte de la santé publique au Québec (voir ici), le Commissaire au lobbyisme du Québec, Me Jean-François Routhier, a tenu à réitérer les nombreux changements qu’il souhaite apporter à la Loi sur la transparence et l’éthique en matière de lobbyisme afin de la rendre plus juste et équitable ainsi que de renforcer la confiance du public dans ses institutions.

Et parmi ces changements, l’un des plus pertinents pour les détaillants est sans contredit l’assujettissement des organismes à but non lucratif (OBNL) aux dispositions de la Loi, une véritable révolution dans les façons de faire du lobbying et de la transparence de l’influence au Québec.

Peu connue du grand public, cette mesure n’en est pas moins perçue comme une menace, voire un séisme pour le milieu communautaire québécois et rencontre un mur de résistance.

Aux yeux du Commissaire toutefois, il s’agit d’une réforme fondamentale et nécessaire qui émerge d’un diagnostic sans équivoque des forces et faiblesses de la loi actuelle et inspirée par ailleurs des meilleures pratiques dans le monde et ce, suite à une réflexion en profondeur menée en tout début de son mandat quinquennal entamé en 2017.

“Le fait que les communications d’influence exercées par des OBNL non assujettis passent inaperçues porte atteinte à l’objectif de transparence de la Loi et au droit des citoyens d’être informés des communications d’influence faites auprès des décideurs publics”, écrit sans détour le Commissaire au lobbyisme dans un document publié l’an dernier et visant à convaincre l’ensemble des parlementaires de l’importance de moderniser la présente Loi sur la base d’un diagnostic et d’un énoncé de principes clairs et cohérents.

Pour le droit du public à l’information

De fait, en vertu du régime actuel, la vaste majorité des OBNL du Québec sont exemptés d’appliquer la Loi sur le lobbyisme et même dispensés de se conformer au code de déontologie enchâssé dans celle-ci. Seuls les OBNL constitués à des fins patronales, syndicales ou professionnelles ou encore, constitués majoritairement d’entreprises à but lucratif ou de représentants de telles entreprises, sont tenus de respecter la Loi.

Ainsi, des organismes subventionnés à 100% par le gouvernement pour faire du lobbying comme la Coalition tabac ou la Coalition Poids peuvent mener toutes les activités d’influence qu’elles souhaitent sans se soucier une seconde du droit du public à l’information.

Sous prétexte qu’elles seraient “plus vertueuses” sur le plan de l’intérêt public, elles n’ont pas à déclarer leurs objectifs d’influence et leurs cibles politiques au registre des lobbyistes ni même à révéler aux élus rencontrés, comme l’exige le code de déontologie, qu’elles sont financées et mandatées par le MSSS, un échappatoire qui, dans la vraie vie, leur confèrent une influence additionnelle significative ainsi qu’un avantage stratégique considérable qui se traduisent par un déséquilibre des forces en présence et éventuellement, davantage de changements législatifs et réglementaires en leur faveur.

Cela pourrait signifier, par exemple, l’imposition au Québec de taxes sur les boissons sucrées en tant que moyen pour lutter contre l’obésité chez les jeunes, une mesure des plus controversées, régressives et idéologiques mais que poussent pourtant aveuglément les tenants de la santé publique dont la philosophie paternaliste consiste à vouloir le bonheur des gens par la force.

Les associations et autres représentants de détaillants, pour leur part, sont tous obligés de se plier aux dispositions de la Loi ainsi qu’à son code de déontologie et ce, sous peine d’amendes.

“Cette différence entre les entreprises à but lucratif et les OBNL suscite une perception erronée suivant laquelle seules les communications des entreprises (…) doivent être assimilées à du lobbyisme, entrainant une connotation péjorative à leurs démarches, alors que celles effectuées par un OBNL (…) sont présentées comme étant dans l’intérêt public, donc plus nobles”, d’écrire Me Jean-François Routhier à DepQuébec

Cette recommandation du Commissaire est toutefois loin d’être acquise d’autant plus que parmi les plus forts opposants à son projet de réforme se trouve justement… la Coalition tabac financée à 100% par le MSSS!

Une réforme en profondeur

L’enquête de DepQuébec portant sur le lobbying occulte de la santé publique a soulevé, on s’en rappelle, plusieurs questions relatives à l’éthique et à la transparence du MSSS en matière de lobbying, qu’il s’agisse de l’utilisation avérée et soutenue de fonds publics à des fins de lobbying, du rôle proactif joué par un collectif de directeurs de la santé publique dans la création d’un groupe façade de pression ou encore, de tout le secret entretenu sciemment pour garder dans l’ombre les liens de proximité entre le groupe façade qu’est la Coalition tabac et le réseau public de la santé.

Or, le fait que de telles pratiques émanent du ministère le plus important de l’appareil gouvernemental et soient si peu conformes, en apparence, à l’esprit de la Loi sur le lobbyisme, est profondément troublant, c’est le moins qu’on puisse dire.

Sur ces questions, le Commissaire a indiqué ne pas vouloir se prononcer et ce, après avoir pris tout le temps requis pour analyser en détail la documentation féconde et étoffée remise par DepQuébec et qui soutient l’ensemble de ses allégations, notamment la fameuse thèse magistrale de doctorat de 300 pages du Dr. Éric Breton, Ph.D. en santé publique sur la Coalition tabac (voir ici) ainsi que des centaines de demandes d’accès à l’information.

“Le commissaire ne commentera pas les allégations que vous avancez (…) portant sur le financement de groupements par le Ministère de la Santé et des Services Sociaux”, a clairement indiqué Me Jean-Sébastien Coutu, directeur par intérim des affaires juridiques et du service à la clientèle au Commissariat au lobbyisme du Québec. Selon ce dernier, “il ne lui appartient pas de (…) questionner ou de remettre en question les raisons justifiant un ministère de rencontrer des lobbyistes ou d’accorder de l’aide financière à des organismes en particulier. En pareille situation, il incombe au ministère impliqué de répondre directement à la population, lorsque nécessaire.”

Cela étant, et en réponse aux questions pointues de DepQuébec, le Commissaire est tout de même revenu à la charge à plusieurs reprises sur la nécessité de renforcer la loi de diverses façons lorsque cela touche à sa raison d’être, soit la transparence.

Place à l’amélioration, mais pas sur tout

Ainsi, en ce qui a trait par exemple au financement d’activités de lobbying via des subventions ou des fonds publics — une pratique interdite dans de nombreux pays — le Commissaire estime que cet enjeu n’est pas de son ressort étant donné que la transparence n’est pas concernée.

“Cet objet de la Loi ne doit jamais interférer, de notre point de vue, avec la discrétion accordée aux institutions publiques d’octroyer des subventions ou toute autre forme d’aide financière aux entreprises ou organisations de leurs choix, selon les critères établis dans leurs politiques ou la législation”, d’indiquer le Commissaire par écrit à DepQuébec.

Ce dernier rappelle toutefois qu’il est interdit d’effectuer du lobbying moyennant une contrepartie sous forme de subvention ou de prêt. De sorte que si un lobbyiste conseil peut être engagé par une entreprise dans le but d’obtenir une subvention ou un prêt du gouvernement, il ne doit jamais être remunéré au pourcentage d’un gain obtenu et ce, en totalité ou en partie.

Le Commissaire est par ailleurs d’avis que les règles doivent être resserrées en ce qui a trait aux activités de lobbying exercées par des fonctionnaires dans le cadre d’activités tenues en dehors de leurs charges. Celles-ci demeurent à ce jour libres de toutes restrictions dans la Loi (à part celle d’être consignées au registre des lobbyistes). Cette réalité est “susceptible d’entraîner des situations apparentes ou réelles de conflits d’intérêts”, de souligner le Commissaire.

Enfin, sachant que les lobbyistes-conseils engagés par une institution publique pour faire cheminer un de ses dossiers devant une autre institution publique ont l’obligation de divulguer ce mandat au registre des lobbyistes, le fait d’assujettir les OBNL à la Loi va permettre d’éclairer davantage la population sur le rôle joué par des ministères et autres institutions publiques dans les activités de lobbying.

“À partir du moment où l’objectif principal d’une législation concernant le lobbyisme doit être la transparence des communications d’influence, la nature corporative du bénéficiaire des communications d’influence ne devrait plus être un facteur justifiant ou exemptant une entité d’être assujettie au régime d’encadrement du lobbyisme”, de souligner le Commissaire à DepQuébec.

Une révision bien enclenchée
commissaire lobbyisme
Image extraite du site internet du Commissaire au lobbyisme.

Le fait d’assujettir l’ensemble des OBNL à la Loi sur le lobbying n’est pas une mince affaire. Une fois la réforme adoptée, en revanche, cela sera assurément un pas dans la bonne direction pour l’industrie des dépanneurs et la bonne nouvelle est que le processus pour y arriver est bel et bien enclenché.

Cette modification législative forcera dans les faits la Coalition tabac et la Coalition Poids, du moins en théorie, à être plus transparentes en devant inscrire leurs mandats au registre des lobbyistes de même que le nom de l’institution pour laquelle elles agissent. Et tout manquement à cet égard pourra faire l’objet de plaintes en bonne et due forme alors que présentement, n’étant pas assujetties, ces deux coalitions ne sont pas considérées comme étant des lobbyistes même si elles font du lobbying du matin au soir.

En revanche, Me Routhier n’est pas au bout de ses peines et il est loin d’être acquis que cette réforme soit adoptée malgré son bien-fondé.

Ce n’est pas d’hier, en effet, que l’on parle d’inclure les OBNL dans la Loi. Un projet de loi à cet effet (56) a été déposé sous le gouvernement Couillard qui intégrait clairement les OBNL en ajoutant une nouvelle catégorie de lobbyistes.

“Le projet de loi révise les définitions des trois catégories de lobbyistes qui sont assujettis, soit le lobbyiste d’entreprise, le lobbyiste d’organisme et le lobbyiste-conseil. Il prévoit que tous les organismes à but non lucratif, les regroupements non constitués en personne morale de même que les personnes qui exercent une activité de lobbyisme pour des entités liées à des entreprises à but lucratif sont maintenant visés par les définitions de lobbyistes.” – Projet de loi 56 sur le lobbying, 2015

Mais bien que déposé en 2015, ce projet est mort au feuilleton trois ans plus tard avec la tenue d’élections en octobre 2018. Or, à la demande de l’Assemblée nationale et suite à de fortes pressions reçues, le Commissaire au lobbyisme avait dû procéder, en juin 2016, à une étude sur l’assujettissement de tous les OBNL aux règles d’encadrement du lobbyisme, chose qui a considérablement retardé le processus.

Mais on comprend mieux pourquoi quand on sait à quel point la Coalition tabac s’est mobilisée pour nuire à son adoption!

Du lobbyisme contre la réforme de lobbyisme

Pour la plupart des organismes sans but lucratif, l’éventualité de se soumettre à la Loi sur le lobbyisme évoque un fardeau réglementaire additionnel face auquel ils estiment avoir peu de ressources et être désavantagés, ce qui est sans doute en partie vrai. C’est le cas en fait de toute nouvelle loi ou réglement — parlez-en aux dépanneurs — qui représente immanquablement un coût additionnel en temps ou en argent pour les groupes visés.

Dans un communiqué récent diffusé par un regroupement d’organismes opposés à cette réforme, la Coalition tabac n’y allait pas avec le dos de la cuillère en déclarant que “l’imposition de nouvelles règles et obligations aux OSBL compromettrait sérieusement leur droit d’association, leur droit à l’information, leur liberté d’expression et leur participation citoyenne et politique”.

En réalité, étant elle-même un produit de la fonction publique québécoise, rien de tout cela ne la concerne vraiment. De fait, la crainte d’un fardeau additionnel est le dernier de ses soucis, elle qui reçoit près de 500,000$ par année en financement public sans même lever un petit doigt d’effort en financement, levées de fonds ou autre, contrairement aux associations normales qu’elles prétend faussement être ou même représenter.

Ses craintes reposent plutôt sur des considérations stratégiques liées au fait de se voir forcée de divulguer pour la première fois et de manière soutenue ses liens de proximité avec le MSSS. Ses intérêts propres et son influence politique passent bien avant le droit du public à l’information.

Et c’est pourquoi, en s’alliant avec les groupes communautaires, la Coalition tabac tente de les instrumenter tout comme elle instrumente les municipalités, commissions scolaires, organismes et autres pour mieux exercer son lobbying dans des conditions optimales, c’est-à-dire en se faisant passer pour un groupe sociétal communautaire et non ce qu’elle est en réalité, soit une cellule clandestine d’influence et de pression politique qui répond directement aux dictats de fonctionnaires tapis dans l’ombre de la santé publique du MSSS.

Et pendant ce temps, déterminé mais limité dans ses actions, Me Routhier cherche tant bien que mal à faire aboutir son projet de modernisation malgré des vents contraires… de lobbying subventionné.

« Il est temps de parler de la réforme de l’encadrement du lobbyisme, mais surtout temps de la réaliser pendant que les choses vont bien, car c’est dans ces moments que les meilleures solutions sont choisies, sans contraintes, et que l’acceptation des changements est la plus facile à opérer », soutient-il dans un communiqué diffusé plus tôt cet année.

On lui souhaite ardemment de réussir, mais sait-il vraiment contre qui et surtout, contre quoi il se bat? Et surtout, contre quel ministère?

Les dépanneurs, eux, le savent depuis 25 ans.

2 thoughts on “Le Commissaire souhaite étendre la Loi à tous les organismes incluant les Coalitions Tabac et Poids

  • 10 juillet 2020 à 09:08
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    Calvaire que vous faites de la bonne job , je suis sidéré a toute les fois que je lis vos articles sur la coalition du tabac.
    j’aimerais savoir ou en est rendu le dossier sur frais de carte de crédit imposer au marchand.

    merci et bonne journée

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    • 10 juillet 2020 à 11:19
      Permalink

      Merci! Pour les frais de carte de crédit, je vais vous revenir. Au plaisir, Guy Leroux, rédacteur, DepQuébec

      Répondre

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