L’affichage des cépages sur le vin en épicerie fera des gagnants et des perdants

Depuis le 30 décembre dernier, les restrictions sur l’étiquetage des vins vendus en épicerie et en dépanneur ont été enfin assouplies de manière à permettre l’affichage du ou des cépages de chaque vin, une mesure saluée à l’unanimité par l’industrie du vin autant que par les détaillants.

Mais tandis que les vins dont le cépage est noble — cabernet sauvignon, chardonnay et tutti quanti — y voient une grande opportunité de rayonner davantage sur les tablettes, ceux dont le cépage est inconnu, voire inavouable (genre mélange de moût et autres), se voient pour ainsi dire relégué dans l’ombre par les nouvelles règles du marché… ce dont vraisemblablement personne ne se plaindra!

Des gagnants et des perdants… même pour une marque similaire!

Prenons par exemple le vin blanc Revolution White, embouteillé au Québec par Constellation Brands, maintenant appelé Vins Arterra Canada depuis l’acquisition de la division canadienne par le fonds de placement Ontario Teachers. La version rouge de ce vin est en passant le meilleur vendeur toute catégorie au Québec.

Ce vin blanc est disponible en deux versions quasi-identiques : une qui provient du Chili et l’autre, de Californie. Les deux arborent la même étiquette mais la version chilienne est bleue pastel tandis que la version californienne est verte turquoise. Tout le reste est pareil.

Mais voilà : les règles changent et l’affichage des cépages est permis. On voit alors qu’émerge un gagnant et un perdant. Le gagnant : la version chilienne car elle est composée de sauvignon blanc, un cépage noble, très connu et fort apprécié. Ce pourquoi la bouteille mise à jour du Revolution White version Chili comporte désormais la mention « Sauvignon blanc » écrite de manière très visible (voir photo suivante) comme pour exprimer sa grande fierté!

Son grand frère, le Revolution White version Californie, n’a pas cette chance : le pauvre, bien que délicieux, est composé de Colombard à 92%, un cépage totalement inconnu. De sorte que la nouvelle étiquette n’en fait nullement mention et mise plutôt sur le mot « Californie » pour se mettre en valeur ! Cela sera-t-il suffisant pour maintenir ses ventes maintenant que tout le monde affiche son cépage, mais pas lui?

La version chilienne affiche fièrement son cépage, mais pas la version californienne. Vaut mieux inscrire « Californie » que « Colombard »…

Les vins importés vs les vins élaborés ici

Tous les vins importés dont les cépages sont nobles et connus ont donc eut tôt fait de sauter sur l’occasion et d’afficher fièrement sur l’étiquette leur beau cépage, comme les vins suivants :

On le voit, le Smokey Bay pré-révision de la loi était muet sur son cépage. Sa nouvelle version met ce dernier bien en évidence, en blanc sur noir!
Le Wallaroo Trail était en 2015, selon la SAQ, le vin le plus vendu au Québec. Le fait qu’il puisse afficher désormais son cépage Chardonnay risque de lui donner encore plus de vent dans les voiles.
Le Chili n’est pas en reste avec des vins qui sont faits eux aussi à partir de cépages connus, offerts à prix d’ami.
Pour sa part, la marque Julia qui se targue avec raison d’offrir des vins et assemblages raffinés, n’a pas peur de présenter des cépages moins connus, quitte à les faire connaître.

En revanche, les vins qui ont été élaborés ici et dont on ne sait absolument pas de quoi ils sont faits — sinon qu’ils ne sont pas censés nous rendre malades — n’ont plus rien pour se cacher et l’absence de cépage sur leur étiquette risquent de devenir de plus en plus gênante, comme c’est le cas pour les vins suivants :

Avant, on ne savait rien de ce que contient ce vin. Aujourd’hui, le mystère s’épaissit alors que les autres vins affichent une transparence limpide en indiquant leur cépage. De là la question : en a-t-il même un?

Le chic dont on emballe ce produit ne saurait faire oublier le fait qu’on ne sait rien de son cépage.
Enfin, ce vin élaboré au Canada et que plusieurs associent à tort à un vin importé de France, demeure complètement muet sur sa composition. Tout ce qu’on sait est ceci : « Vin de caractère, Nicolas Laloux se déguste et s’apprécie aisément, en harmonie avec un art de vivre privilégiant authenticité et simplicité. Il offre avec générosité et nonchalance ses arômes de fruits mûrs s’ouvrant sur une bouche ample tout en rondeur. »  Comprend qui peut!

Vers un nouveau Darwinisme du cépage?

Le cépage est un élément essentiel et incontournable quand vient le temps de choisir un vin. Aux États-Unis, dans les « liquor stores », les tablettes sont souvent regroupées en cépage et plusieurs vins n’ont d’autre nom que celui de leur cépage.

Le fait de pouvoir les afficher en épicerie pourrait en théorie engendrer un effet darwinien à long terme de manière à favoriser la sélection des vins à cépages connus au détriment de ceux qui n’affichent pas de cépage ou encore, des cépages inconnus.

Si cet effet se confirmait, les vins sans cépage pourraient de se voir relégués au second rang, à moins de viser le fond du baril des bas prix… et encore! On voit mal comment le prix peut jouer compte tenu que les vins importés et embouteillés ici parviennent à se vendre pour aussi peu que 10 $ le litre.

Ce pourrait donc signifier un recul des vins élaborés ici mais encore une fois, qui viendra s’en plaindre?

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