Travaux de longue durée: les villes commencent enfin à compenser les commerçants… un peu

Les grands chantiers qui déferlent au Québec depuis plusieurs années ne sont pas à veille de s’estomper avec notamment le projet du REM à Montréal et celui du tramway à Québec.

Ces projets ainsi que l’état décrépit de nos infrastructures contribuent à multiplier les travaux de construction majeurs dont certains peuvent durer jusqu’à 16 mois au même endroit, entravant la circulation et menaçant la survie des commerces environnants.

Or, si les villes ont toujours fermé la porte à une compensation des commerçants, les choses semblent véritablement en train de changer.

Montréal a été la première ville au Canada l’an dernier à instaurer un programme de compensation et ce, dans la foulée d’une promesse électorale de Valérie Plante.

Ça aurait pu en rester là sauf que la ville de Québec vient elle aussi d’emboîter le pas, il y a deux mois à peine et ce, après avoir dit non à de multiples reprises.

Si l’on ne peut qu’applaudir d’aussi bonnes intentions, il reste à savoir si les mesures proposées sont suffisantes et aussi, si les autres villes emboîteront le pas à Montréal et Québec.

Car c’est tout un chantier de convaincre les autorités municipales de ne pas nuire au commerce de proximité!

boul. st-laurent 2009 vs 2019
Malgré le boom immobilier que connaît Montréal, le boulevard Saint-Laurent à Montréal n’est plus l’artère vivante qu’elle était jadis et les nombreux travaux routiers subis ces dernières années ne sont pas étrangers à cette évolution désolante.
Quand les travaux n’en finissent plus

En plus de tout ce qui sape la rentabilité des dépanneurs — hausses du salaire minimum, inflation, taxes et impôts, hyper-réglementation et frais de carte de crédit — l’éventualité de devoir subir des mois et des mois de travaux de construction peut bien souvent s’avérer la proverbiale goutte qui fait déborder le vase.

Et si d’un côté, les municipalités jurent la main sur le coeur vouloir miser sur le commerce de proximité pour revitaliser leur centre et rendre leurs artères plus dynamiques, attirantes et vivantes, de l’autre, elles se font rares celles qui font vraiment tout pour ne pas nuire.

Parlez-en aux propriétaires de commerces du boulevard Saint-Laurent, de la rue Saint-Denis ou de la rue Saint-Hubert à Montréal.

Lorsque les travaux de réfection ont débuté sur la rue Saint-Denis en 2016 (voir photo en tête de l’article), plusieurs commerçants n’ont eu d’autre choix que de fermer leurs portes comme le magasin Scarpa, ouvert depuis 14 ans. Des restaurateurs ont vu en outre leur chiffre d’affaires fondre de plus de 50% après le premier mois de travaux seulement alors qu’il en restait encore sept autres à endurer. Comment survivre dans de telles conditions?

Et Montréal n’est pas seule à imposer de longs et pénibles travaux routiers à ses commerçants. À Québec aussi, c’est le même problème.  Mais là-bas, la fermeture récente et hautement médiatisée d’un restaurant connu a récemment ébranlé les convictions et fait changer les choses.

le shack fermeture
Mathieu Girard, propriétaire du Shack Resto-Bar, a fermé son restaurant Le Shack après avoir perdu 150 000 $ depuis le début de l’année 2019 en raison des travaux routiers interminables sur la route de l’Église, à Sainte-Foy.
Montréal innove

En juin 2018, Montréal a été la première ville à mettre sur pied un programme de compensation des commerçants. Un fonds de 25 millions $ a été créé à cet effet, chaque commerçant lésé par des travaux de six mois ou plus pouvant recevoir jusqu’à 30,000$ par année.

Pour y avoir droit, ces derniers doivent toutefois prouver les pertes subies en présentant des états financiers vérifiés, avec une aide financière additionnelle de 1000$ pour pour ce faire.

Selon le Journal de Montréal, ce programme ne s’est pas avéré très populaire à date. Sur les 61 entreprises qui ont fait une demande, le tiers ont été refusées et 22 commerçants seulement ont été compensés jusqu’à maintenant. Au total, 723 381$ ont été versés pour 37 zones de chantier visées.

Est-ce parce qu’il est trop compliqué d’y participer?

Au tour de Québec

Le 16 septembre dernier, la ville de Québec annonçait à son tour l’instauration d’un premier programme de compensation des commerçants qui subissent des entraves de longue durée.

Calqué sur celui de Montréal, ce programme prévoit lui aussi une compensation maximale de 30,000$ par année par commerçant touché pour des travaux souterrains dépassant quatre mois ou des travaux de surface dépassant six mois consécutifs.

Le programme prévoit ainsi deux versements :

  • 1er versement forfaitaire au début des travaux : 5,000$/entreprise admissible.
  • 2e versement sur preuve d’une perte de bénéfice brut supérieur à 15 %, jusqu’à un maximum de 30,000$ par année.

Bien que l’effort soit là, on peut d’ores et déjà déplorer la rigidité des critères. En effet, que valent 30,000$ pour un restaurateur qui perd 150,000$? Cela n’y changera rien. Un programme vraiment efficace miserait sur du cas par cas avec un accompagnement étoffé pour assister les commerçants et non simplement leur demander encore plus de travail pour préparer et soumettre un formule de demande complexe.

Il est intéressant toutefois de voir la décision de Québec faire tache d’huile. À Gatineau, les élus ont été interpellés à ce sujet et se sont montrés ouverts à l’idée d’instaurer un tel programme.

Mais dans la plupart des municipalités comme à Magog où des travaux importants ont été amorcés dans la principale artère l’été dernier, les mesures de compensation demeurent inexistantes et les commerçants sont laissés à eux mêmes. Ils doivent assumer tous les frais et pertes pour de tels travaux dans des conditions d’affaires souvent précaires et difficiles.

25% de baisses de revenu

Les effets des travaux de construction peuvent être assommants, en particulier quand ils s’étirent sur une très longue période.

C’est le cas présentement pour un immense chantier de construction entamé depuis quelques mois sur la rue Ontario Est, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.

Des propriétaires à qui nous avons parlé nous ont confié subir déjà des baisses significatives de l’ordre de 25%.

“C’est sûr que 30,000$, c’est mieux que rien, mais c’est loin de compenser pour nos pertes sur une aussi longue période”, d’indiquer un propriétaire qui a requis l’anonymat.

rue ontario chantier
Sur cette portion de la rue Ontario Est, des travaux routiers d’une durée de 16 mois ont été entrepris en septembre dernier et se poursuivront jusqu’en 2021 pour réaménager l’artère, remettre à neuf le réseau électrique ainsi que les conduites d’aqueduc. Des impacts très longs et très pénibles à endurer pour le tissu commercial environnant.

Ceci étant dit, l’écoute nouvelle des villes à l’égard des commerçants reflète leur inquiétude face aux difficultés de l’industrie du détail qui pâtit par ailleurs d’une multitude d’autres facteurs dont le phénomène des ventes en ligne.

Voyant le nombre de locaux commerciaux vides et abandonnés augmenter sans cesse, elles n’ont d’autres choix que de changer d’attitude et de stratégie à défaut de voir tout leur centre dévitalisé.

C’est exactement l’esprit et l’attitude que Québec devrait montrer face à l’industrie des dépanneurs qui, moins exposé aux ravages du commerce en ligne, est néanmoins affecté par la sur-réglementation du secteur.

Il serait d’ailleurs grand temps que la province accouche de son fameux plan de déréglementation tous azimuts des dépanneurs (voir ici) dont rien n’est ressorti encore mis à part de belles intentions.

Et ça presse si on veut garder nos commerces en santé!

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