Québec fustige les détaillants d’estimer les coûts de sa consigne élargie en l’absence d’étude de sa part
Si le gouvernement de la CAQ se cherchait un bouc émissaire ou un paratonnerre, il semble bien avoir trouvé.
« Je n’ai pas apprécié certaines des affirmations qui ont été faites en entrevues. (…) Plusieurs étaient carrément inexactes, sinon fausses. (…) Et dire que vous parlez au nom de tout le monde, c’est peut-être un autre élément de votre discours que vous auriez intérêt à modifier ». — Benoit Charette, ministre de l’Environnement, 20 octobre 2020
Ces déclarations fort peu diplomatiques ont été lancées comme une bombe par un ministre de l’Environnement visiblement courroucé par les porte-parole des détaillants venus présenter leur point de vue sur son projet de consigne élargie, le 20 octobre dernier.
Ébranlés mais fermes, Marc Fortin et Jean-François Belleau, respectivement président et directeur affaires publiques du CCCD-Québec, n’en démordent pas: telle que proposée par la CAQ, la consigne élargie va engendrer des coûts additionnels et significatifs aux consommateurs de l’ordre de 300 M$ par année et cela demeure une estimation conservatrice. En réalité, ce pourrait être bien pire!
Cette estimation, que le ministre juge « inappropriée » (et non inexacte) est d’autant plus crédible que le gouvernement n’a toujours pas osé dévoiler ses propres études d’impacts économiques.
Une dure réalité, donc, que le gouvernement connaît mais refuse d’admettre, d’où sa réticence à être transparent et surtout, ses attaques mesquines envers ceux et celles qui ont tenu le fort de la consigne depuis quatre décennies.
Des sommes minimes, vraiment?
Les détaillants sont bien placés pour connaître les coûts réels de la consigne puisque ce sont eux qui, depuis 40 ans, récupèrent, collectent, administrent et remettent les milliards de contenants consignés au Québec pour « des pinottes », soit une prime de deux cents le contenant récupéré, une somme microscopique jamais indexée depuis 1980 malgré la hausse vertigineuse du salaire minimum et qui est demeurée de loin la plus faible au pays.
Cette subvention déguisée de la consigne par les détaillants a fait en sorte que celle-ci a pu s’autofinancer aisément depuis quatre décennies. Une ère qui tire assurément à sa fin… et le choc risque d’être rude!
En effet, Québec donne le feu vert, avec sa loi, à la création d’un réseau de centaines de centres de dépôts à travers le Québec visant à récupérer les milliards de contenants consignés additionnels. Il est dès lors inévitable que les Québécois auront à défrayer le plein prix, cette fois, de la récupération, voire même davantage et ce, tandis que la CAQ s’évertue à minimiser la chose, voire même laisse entendre que tout le système finira par s’autofinancer.
Et cela n’inclut pas tout le fardeau de devoir maintenant aller porter ses cartons de lait et de jus, ses bouteilles de vin ainsi que ses bouteilles d’eau en plastique à moins 30 degrés Celsius plutôt que d’avoir à simplement les mettre dans le bac bleu!
Les deux mains dans les poches des familles
Le montant de 300 M$ mis de l’avant par le CCCD-Québec a été calculé en se reposant sur les données de la Colombie-Britannique qui sert présentement de modèle au projet de consigne élargie du gouvernement.
Selon l’étude Who Pays What de la firme CM Consulting, la consigne en Colombie-Britannique est largement déficitaire et doit reposer, pour les deux-tiers de son financement, sur une taxe non-remboursable prélevée à même la vente des contenants consignés, donc puisée directement dans les poches des familles.
Ainsi, en 2016, les revenus de 85,3 M$ étaient inférieurs de 6 M$ aux dépenses d’exploitation de 91,6 M$. Or, seulement 33% des revenus (28 M$) provenaient des consignes non-remboursées et de la vente de la matière collectée. Tout le reste reposait sur une taxe non-remboursable appliquée sur les contenants consignés et qui peut varier d’année en année selon l’ampleur des déficits ou des surplus s’il y en a.
En 2016, cette taxe allait de 1 cent pour les canettes d’aluminium à 16 cents pour les contenants en verre d’un litre. En moyenne, on parlerait ici, selon le CCCD-Québec, d’une taxe moyenne de 3,25 cents sur l’ensemble des contenants.
Si l’on applique ces chiffres aux 5 milliards de contenants québécois bientôt consignés par Québec, la somme du fardeau des ménages totaliserait donc bel et bien près de 300 M$ selon le CCCD-Québec, soit la somme des consignes non-remboursées et de la taxe payée, toutes deux puisées à même les poches des consommateurs.
Cela vient changer drôlement la donne des prix des boissons, des jus, du lait et autres qui, au détail, seront maintenant affublés d’une consigne ET d’une taxe de récupération supplémentaire.
Quant à savoir si la TPS et la TVQ prendront ou non en compte cette taxe dans leur calcul et seront haussées en conséquence, il faudra attendre la position du ministère du Revenu, mais rien n’est impossible au Québec!
Un buffet ouvert pour les fournisseurs
Il reste à voir si les bénéfices de la consigne élargie compenseront les coûts additionnels imposés aux consommateurs de même que les millions de déplacements additionnels rendus nécessaires pour que chacun fasse sa petite part.
Chose certaine, les vrais gagnants de cette méga-consigne élargie sont déjà tous désignés, soit les fournisseurs, employés et gestionnaires de cette nouvelle superstructure de centres de dépôts.
Le Québec prévoit ainsi s’en doter de centaines un peu partout en province, des chiffres qui vont de 400 à 750. Ajoutés à cela les détaillants qui vont continuer de récupérer aussi la consigne dans leur magasins et on peut d’ores et déjà prévoir que les routes du Québec seront engorgées de véhicules de consommateurs et de camions de recyclage qui vont aller et venir à l’infini pour aller porter, chercher et récupérer la matière.
Pendant ce temps, tout ce qui touche à la collecte sélective — ce magnifique système de bac bleu implanté à la grandeur du Québec — va venir s’appauvrir en se voyant délesté de la matière la plus valorisée qui vont du plastique à l’aluminium.
On doit certes faire davantage pour mieux récupérer et recycler, mais il est fort douteux que la voie choisie par le gouvernement soit la plus efficace.
Dommage pour les familles — surtout les plus démunies — qui vont encore pâtir de la gloutonnerie bureaucratique et gouvernementale.