Pierre-Alexandre Blouin : nouveau style, même ardeur à vouloir défendre les détaillants

À première vue, ces deux-là forment un duo improbable.

Reconnue pour sa bonhomie rondouillarde, Florent Gravel est du genre à la bonne franquette. Fils d’épicier de troisième génération, on brûle d’envie, en le croisant, de lui demander 200 grammes de salami génois, tranché mince.

Quant à Pierre-Alexandre Blouin, deux fois plus jeune, il est, disons, plus à la mode. Toujours à quatre épingles, il ferait encore mieux la une du magazine GQ que celle du Canadian Grocer.

Mais tout cela n’est qu’apparence.

En vérité, au-delà de leur style aux antipodes, la même ardeur les anime : celle de saisir et de faire comprendre la réalité mouvante des détaillants d’aujourd’hui dont ils cultivent les liens jusqu’à épuisement.

De l’ombre à la lumière

Âgé de seulement 37 ans, marié et père de trois enfants, Pierre-Alexandre Blouin prenait officiellement hier, lundi 4 juin 2018, les rênes d’une vénérable institution québécoise, l’Association des détaillants en alimentation du Québec — ou simplement “l’ADA” comme on aime à l’appeler, après le règne ininterrompu de 13 ans de Florent Gravel.

De Florent Gravel à Pierre-Alexandre Blouin, l’ADA vit une transition sans heurt qui annonce malgré tout un changement de ton et de style et qui est porteuse d’un élan renouvelé pour l’association.

Ses débuts à l’ADA remontent en 2004 après une entrevue d’une durée record de cinq minutes — “la plus courte de ma vie” — aime-t-il à raconter, par celui qui est devenu par la suite président de l’AQDA, Michel Gadbois.

Originaire du village de Saint-Robert, près de Sorel, Pierre-Alexandre Blouin est né d’un père fonctionnaire et d’une mère infirmière. La famille déménagera plus tard à Rimouski, d’où origine sa mère. Il y fera ses premiers pas dans l’industrie de l’alimentation, notamment au sein d’Alimentation GP, une chaîne de supermarchés du Bas-Saint-Laurent acquise par Metro en 2009.

Ses études universitaires l’amènent ensuite à s’établir à Montréal et c’est sur une recommandation de son contact chez GP qu’il aboutit enfin à l’ADA, à la recherche d’un stage.

Vérification faite, Pierre-Alexandre Blouin n’est pas le plus jeune à diriger l’ADA : Jean-François Viau, président de l’ADA de 1989 à 1991, avait 31 ans lorsqu’il a pris la barre de l’organisme pour une courte période.

Cela étant, tous s’attendent à ce que “P.-A.”, pour les intimes, dure aussi longtemps, sinon plus, que Florent Gravel puisque l’ADA est sans contredit sa grande mission, son unique vocation et voire même, son sacerdoce.

Cela fait déjà 14 ans qu’il oeuvre en son sein et à l’entendre, rien ne le passionne encore autant que de demeurer à l’écoute des détaillants et d’oeuvrer à les représenter dignement.

Pour souligner son arrivée en poste et dans le but avoué de mieux connaître l’homme qui passe de l’ombre à la lumière, Pierre-Alexandre Blouin a accepté de répondre aux questions de DepQuébec.


“Devenir un acteur incontournable du secteur alimentaire” : Entrevue avec Pierre-Alexandre Blouin, PDG de l’ADA

DepQuébec : Pierre-Alexandre, vous œuvrez depuis 14 ans à l’ADA. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué jusqu’à présent?

P.-A. Blouin :  Je vais vous répondre de deux façons différentes.

D’une part, la chose la plus stimulante que j’ai vécue, ce sont les contacts avec tous les détaillants.

J’ai eu l’opportunité de me déplacer pour des rencontres régionales avec des administrateurs, de faire le tour du Québec, d’aller en Abitibi en gang avec des détaillants, de faire des tournées de magasin et autres.

Dans les années qui ont suivi, c’est quelque chose que j’ai voulu entretenir : développer mes relations avec ces gens-là. Puis je vous dirais que ça m’a servi beaucoup et que c’est sans doute la raison pour laquelle, sans être un fils d’épicier moi-même, je pense avoir acquis une connaissance assez fine de leur réalité parce qu’ils me l’ont transmise.

“J’ai appris avec un épicier dans l’âme qui va l’être toute sa vie, Florent Gravel, qui témoigne d’un très grand respect de la profession de détaillant en alimentation et qui m’a appris beaucoup de choses par rapport à eux.”

Si je suis encore là, 14 ans plus tard, c’est la principale raison. Je représente des entrepreneurs avec qui je suis très fier de travailler.

Prendre le temps de nouer des liens de proximité avec les détaillants, de les connaître et de comprendre leur réalité est l’une des facettes importantes du travail de Pierre-Alexandre Blouin.

D’autre part, il y a eu plusieurs enjeux dont certains ont connu plus de succès que d’autres. Des commissions parlementaires, on en a fait des dizaines.

Tout le débat autour des loteries : on a vu suspendre des détaillants arbitrairement pour des cas de vente aux mineurs. En bout de ligne, on a fait certains gains pour les détaillants : des valideuses indépendantes, des délais avec une certaine gradation des sanctions.

D’autres dossiers très stimulants avec ça. Tout le dossier de la consigne, notre entente avec l’Association des Brasseurs (ABQ) pour obtenir finalement un frais de manutention pour les bouteilles réutilisables, chose qu’on avait jamais eue même si on opérait depuis plus de 50 ans. 

Évidemment, la vente des alcools québécois en épicerie — le premier dossier sur lequel j’ai eu l’opportunité de travailler il y a de ça une quinzaine d’années, avec Annick Gazaille, notre ancienne présidente. Quand il y a quelques années, le projet a vraiment vu le jour, et bien, j’ai eu cette satisfaction d’avoir gardé ce dossier-là allumé, d’avoir gardé de bonnes relations avec toutes les parties prenantes, et qu’on puisse finalement clore ce dossier-là, c’est une grande satisfaction.

DepQuébec : Selon vous, l’établissement de réseaux et de contacts a-t-il été un élément clé de votre progression au sein de l’organisation?

P.-A. Blouin : Oui et je dois remercier mon patron, Florent Gravel. Souvent, dans des organisations, on souhaite s’assurer que les employés travaillent selon une certaine façon. Moi, j’ai eu beaucoup de latitude justement sur ce que je pouvais faire et ce que je pouvais prioriser comme enjeu très tôt. Ça m’a permis, peut-être pas parfois de prendre le chemin le plus rapide, mais ça m’a permis de bâtir les relations qui font qu’aujourd’hui, mon travail est beaucoup plus facile.

DepQuébec : Il y a quelques années, la SAQ a annoncé ne plus vouloir accepter les paiements de commande par carte de crédit de la part de détaillants avec Agence SAQ, une décision franchement répugnante. Puis, la société d’État a fait marche arrière. Est-ce l’ADA qui a été derrière cette victoire?

P.-A. Blouin : C’est arrivé suite à nos pressions et aux pressions de nos membres. Les détenteurs d’agence ont approché leur élus locaux et ceux de l’opposition ont questionné le ministre en chambre. Le ministre était lui-même très déçu de la façon de fonctionner de la SAQ en ce temps-là. Je pense que cela démontre à quel point la force de notre organisation repose sur nos membres.

“Nous sommes une association de propriétaires par des propriétaires. Ce n’est pas quelque chose qu’on dit comme ça. C’est la réalité.”

Notre force, ce sont nos membres sur le terrain. C’est leur implication dans leur communauté, quand ils appellent leur député, ils ont un retour d’appel assez rapidement parce que ce sont des gens impliqués dans leur communauté.

Ce sont des entrepreneurs importants et dans bien des communautés, c’est même l’épicier qui est l’employeur le plus important.

Il n’y a plus d’entreprises manufacturières dans beaucoup de communautés. On est souvent la porte d’entrée des nouveaux arrivants parce qu’ils n’ont pas les qualifications pour entrer dans un endroit ou un autre. On les accueille à bras ouverts, on les forme et on les aide à s’intégrer dans la communauté. On s’implique auprès des organismes communautaires sportifs, à vocation sociale, etc. Les journées sont rares où il n’y a pas un groupe qui vient réclamer une aide pour une levée de fonds, pour des dons de denrées, pour le tournoi de hockey qui s’en vient et toujours nos détaillants y répondent.

Le poids des détaillants au sein de leur communauté est une force politique indéniable que l’ADA entend canaliser afin d’améliorer leurs conditions d’affaires.

DepQuébec : À votre avis, depuis 14 ans, les conditions d’affaires des détaillants se sont-elles améliorées, détériorées ou sont-elles demeurées stables?

P.-A. Blouin : Elles se sont grandement détériorées pour différentes raisons.

Il y a des raisons purement et simplement commerciales. Il y a beaucoup de joueurs maintenant ou, en tout cas, les joueurs présents sont beaucoup plus forts. Ce qu’on nous explique c’est que les marges ont fondu sur un grand nombre de produits, le magasin type fait moins de profits que par le passé.

“Un Walmart, dans certains quartiers, c’est rendu un dépanneur. C’est préoccupant parce que ça donne moins d’air pour les autres joueurs.”

Il y a toute la question du commerce en ligne qui arrive. Si on ajoute aux conditions d’opération le coût des loyers qui ont augmenté, les taxes municipales qui ont augmenté sensiblement, le salaire minimum, les différentes réglementations, qui sont renforcées, on peut intervenir sur différents enjeux mais il y a beaucoup de ces problématiques-là pour les détaillants qui semblent absolument impossibles à faire bouger. C’est très préoccupant.

Ceci dit, je pense que les Québécois ont une chance importante d’avoir autant d’offre alimentaire au Québec dans toute sa variété de types de commerce, de types de propriété, autant des escompteurs que des détaillants de proximité, des détaillants spécialisés, notamment le fait que 8000 détaillants pratiquement ont des permis de vente d’alcool. Si on regarde ailleurs au Canada, il y a des gens envieux de tout ça et puis nous, ce n’est pas compliqué, au cœur du village, au coin de la rue, on peut acheter de très bons produits, on peut acheter du lait, différentes commodités, de la bière, chose qui n’est pas nécessairement le cas partout.

La détérioration continue des conditions d’affaires des détaillants depuis 15 ans pose un immense défi qui va requérir une dose massive de mobilisation et de leadership de la part de l’industrie afin de renverser la vapeur.

DepQuébec : Surtout si on compare le prix de la bière au Québec avec celui de l’Ontario… c’est rendu tellement cher, la bière, en Ontario!

P.-A. Blouin : C’est difficile pour nous ces conditions-là, mais en même temps, le consommateur a un choix, il y a beaucoup de compétitivité dans le marché, il est très bien servi tant de près que de loin et les magasins se spécialisent de plus en plus dans certains types de produit. Depuis quelques années, on le voit, notamment la microbrasserie et on va voir ça pour d’autres types de produit probablement.

Il faut, pour nous, arriver à trouver une valeur ajoutée dans nos points de vente. Arriver à se différencier. J’aurais de la difficulté à mettre le doigt sur ce que ça va être mais je ne serais pas surpris que les commerces qu’on connaît aujourd’hui évoluent de manière pas mal plus importante dans les cinq à dix prochaines années que depuis les 15 dernières.

DepQuébec : À terme, si les conditions d’affaires continuent à se dégrader, les consommateurs risquent fort d’y perdre avec moins de magasins ouverts, vous ne croyez pas?

P.-A. Blouin : Tout à fait. Mais on ne pourra pas intervenir sur l’ensemble des aspects. On ne peut pas être contre la compétition. Par contre, c’est certain que l’ADA et notre équipe, on va être très présent sur les enjeux d’équité.

“Pour nous, l’équité entre les différents joueurs, c’est extrêmement important et ça va demeurer un de nos grands chevaux de bataille.”

DepQuébec : En terminant, imaginons qu’on refasse une entrevue dans cinq ans. Quels sont les enjeux sur lesquels vous aimeriez avoir progressé?

P.-A. Blouin : C’est certain qu’il y a des gains qu’on veut faire sur certains enjeux très spécifiques, je pense par exemple aux frais de carte de crédit, aux différents enjeux reliés aux attentes sociétales, à l’équité entre les joueurs, mais en gros, pour nous, le plus grand défi, de par la force que cela peut nous donner, c’est de regrouper les détaillants.

C’est vraiment d’avoir une meilleure approche auprès d’eux, mieux les représenter, mieux les regrouper, mieux les comprendre et mieux les faire comprendre.

Sans vouloir vous lancer des fleurs, ce sont choses que votre site fait très bien, démocratiser l’information sur ces entrepreneurs-là. Nous, on veut aussi apporter notre pierre à ce niveau, on veut que les intervenants comprennent de quoi ils parlent.

Je prends juste l’enjeu de l’emballage par exemple. Là, on est au cœur d’une tempête, on est des gaspilleurs d’emballage. Nous, quand on se lève le matin, notre priorité c’est de mettre le plus d’emballage possible autour des produits, et au diable les dépenses! Si on en met le plus possible dans les sites d’enfouissement, c’est parce qu’on aura fait une bonne journée! (rires)

Aucune compréhension que ce sont des coûts d’opération, aucune compréhension qu’on a des normes à respecter, les gens ne comprennent pas notre rôle, les gens ne comprennent pas notre processus décisionnel, je pense que c’est un très grand défi.

Si dans cinq ans, on a la chance de faire une autre entrevue et puis qu’on a réussi à se faire mieux comprendre du grand public, mieux comprendre des élites, sur le plan politique et administratif, et de nos partenaires, je pense que je vais être très très satisfait de ce que notre équipe aura réalisé.”

“Le positionnement de notre organisation, c’est de devenir incontournable comme acteur du secteur alimentaire. C’est la priorité des prochaines années.”

Le conseil d’administration de l’ADA, fort nombreux, compte des détaillants de toute provenance et de toutes les régions.

DepQuébec : Pierre-Alexandre Blouin, merci beaucoup pour cette entrevue et bonne chance dans votre mandat.

P.-A. Blouin : Merci à vous.

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