« Il n’est pas raisonnable d’imposer à un détaillant de tabac une supervision à tout instant de ses employés » – Cour Supérieure du Québec

Pour la deuxième fois en trois mois, la Cour Supérieure renverse un verdict de culpabilité à l’encontre de dépanneurs condamnés pour avoir vendu du tabac à un mineur. Et dans ce qui fera sans doute jurisprudence en faveur des dépanneurs, ce dernier jugement vient rappeler enfin que la notion de diligence raisonnable se doit d’être justement ce qu’elle dit, c’est à dire « raisonnable »!

Serge Richard, propriétaire du Dépanneur 5 Étoiles à Trois-Rivières, s’est vu condamné le 12 juillet 2016 par le juge Gaétan Ratté, J.P.M. à une amende de 500 $ plus les frais pour avoir, le 11 août 2014 et par l’entremise d’une employée, vendu du tabac à une mineure, en l’occurence une aide-inspectrice âgée de 16 ans engagée par le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

M. Richard ne l’a toutefois pas entendu ainsi et estimant que le juge avait erré en droit, a porté sa cause en appel à la Cour supérieure…. et gagné! Le jugement vient à peine de tomber il y a un mois, le 16 octobre 2017.

Le Dépanneur 5 Étoiles est un commerce fort achalandé de Trois-Rivières. Il reçoit environ 1000 clients par jour, comprend un comptoir postal, une SAQ Alimentation, une section étoffée de bières de micro-brasseries et offre des mets cuisinés sur place.

Lorsqu’il a plaidé sa cause initialement, le 3 mai 2016, M. Richard ainsi que sa gérante Katya Richard ont tenté de démontrer qu’ils faisaient tout en leur pouvoir pour prévenir la vente de tabac aux mineurs :

  • Le dépanneur a implanté depuis sept à huit ans une politique interne de cartage systématique des clients ayant l’air de 25 ans ou moins;
  • Il a posé des affiches indiquant l’obligation de « carter » toute personne ayant l’air âgée de moins de 25 ans;
  • Lors de l’entrevue d’embauche d’un nouvel employé, cette politique était expliquée personnellement par le propriétaire;
  • En cas de manquement à la politique, l’employé fautif est congédié et menacé en plus de devoir payer une amende de 600 $;
  • Une formation obligatoire à la caisse est imposée d’au moins 30 heures durant laquelle le nouvel employé se voit toujours accompagné par un employé d’expérience. La formation peut même s’étendre jusqu’à 60 heures;
  • En matière de surveillance, il y a toujours des employés ou un superviseur présent;
  • Le dépanneur dispose en outre d’un système de 35 caméras, dont l’une avec microphone au-dessus des caisses. Les employés savent qu’ils sont filmés et enregistrés 24 heures sur 24;
  • Il se fait des rappels constants aux employés pour leur rappeler de carter;
  • Le dépanneur utilise en outre un livre pour communiquer avec les employés avec informations, commentaires, notes et directives;
  • De sorte qu’en 34 années d’opération, M. Richard souligne avec fierté qu’il n’est jamais arrivé UNE FOIS qu’un employé se fasse prendre à vendre aux mineurs.
Coupable dans le jugement de première instance

Dans son jugement, le juge Ratté souligne la persistence méritoire du dépanneur à réitérer l’importance de carter, lors de formation ou de fréquents rappels, tous les clients qui ont une apparence de moins de vingt-cinq ans. Il note que des affiches sont installées près des caisses dans le dépanneur, et le fait que des rencontres et rappels sont faits régulièrement aux employés. Il note la surveillance d’un système de caméras, du gérant et d’autres employés plus expérimentés. Il souligne aussi la formation des employés et refuse de la mettre en doute comme le suggère le procureur de la poursuite.

Des affiches rappelant que les clients ayant l’air d’avoir 25 ans ou moins seront cartés sont placés aux endroits stratégiques du magasin.

Or, malgré ses commentaires suggérant qu’il a fait preuve de diligence raisonnable, il le trouve coupable.

Selon le magistrat, le fait que l’employée fautive, qui avait 15 mois d’expérience, était seule à la caisse durant l’infraction relève d’une lacune importante concernant la supervision des employés, d’autant plus que celle-ci avait causé du fil à retordre aux propriétaires. Connaissant la situation et les possibilités, pour ne pas dire probabilités, d’erreurs par cette caissière, la défenderesse devait s’assurer qu’elle ne soit pas laissée à elle-même et soit mieux encadrée.

Le magistrat ajoute que le dépanneur exerce une activité fortement règlementée qui lui impose une responsabilité plus grande qu’une autre qui ne l’est pas.

« Il ne peut s’exonérer de cette responsabilité en la reportant sur l’employée qui en raison de son jeune âge, de son inexpérience et de ses propres capacités, n’est peut-être pas en mesure de l’assumer sans un encadrement et une surveillance adéquate », d’écrire le juge Gaétan Ratté.

Notons ici que les jugements sur la diligence raisonnable se sont multipliés au Québec ces dernières années suite à la hausse vertigineuse des inspections du MSSS qui sont passées de 1 500 à 5 000 par année. La tendance interprétative à laquelle on assistait jusqu’à maintenant allait dans le sens d’un resserrement juridique de cette notion. Les tribunaux se montraient ainsi de plus en plus réticents face à un propriétaire voulant se dégager de la responsabilité d’un employé fautif, quelles que fut les circonstances. Le jugement Ratté allait donc tout à fait dans ce sens.

Procédure en appel : le dépanneur tente le tout pour le tout

Toujours est-il que M. Richard invoque en appel que le juge d’instance a commis des erreurs de droit relativement à la norme juridique de diligence raisonnable applicable en matière de responsabilité stricte et une erreur manifeste dans l’appréciation des faits en concluant notamment que l’employée fautive travaillait sans supervision le jour de l’infraction.

Après avoir passé en revue les faits, la Cour Supérieure, sous la présidence de l’Honorable Manon Lavoie, rappelle que dans le cadre de cette défense, l’on se doit d’appliquer une norme objective et apprécier le comportement de l’accusé par rapport à celui d’une personne raisonnable, placée dans un contexte similaire.

En d’autres mots, il faut évaluer le comportement du dépanneur par rapport à un autre détaillant de tabac raisonnable.

Dans l’arrêt Sault St-Marie, la Cour suprême du Canada établit que la responsabilité de l’employeur est fondée sur le contrôle et la possibilité de prévenir, c’est-à-dire qu’il aurait pu et dû prévenir l’infraction. En d’autres mots, la diligence raisonnable n’est pas une obligation de résultat, mais une obligation de moyens, de moyens raisonnables dans les circonstances.

Or, la Cour estime que le juge d’instance semble à cet égard avoir imposé un fardeau trop lourd à l’employeur en l’obligeant à suivre constamment un employé, et ce, indépendamment de sa formation.

Dans une affaire similaire, Groupe Harnois inc. (voir jugement ici), la Cour Supérieure a rappelé qu’il ne faut pas imposer à un employeur un fardeau trop lourd, équivalent à une norme de perfection ou d’infaillibilité, ce qui est alors incompatible avec la norme de diligence raisonnable applicable en matière de responsabilité stricte.

Ainsi, « la Loi n’impose pas à l’employeur de présumer que tous ses employés sont stupides, grossièrement négligents ou irresponsables » de souligner le jugement. « Elle n’impose pas non plus de les suivre pas à pas, mais de bien les encadrer, d’établir des mesures préventives réalistes et d’en assurer la bonne application. »

De plus, il est inexact de prétendre que l’employée a été seule puisque l’infraction s’est produite durant le jour, il y avait d’autre membres expérimentés du personnel dans le dépanneur, la gérante faisait de la caisse quatre heures par jour et elle était surveillée en outre par un système de caméras.

Ainsi, la Cour Supérieure estime que ce n’est pas parce que l’employée en question est seule à la caisse que le juge d’instance peut conclure qu’elle a été laissée sans supervision par le Dépanneur 5 Étoiles le jour de l’infraction.

Aussi, la Cour juge déraisonnable que le juge d’instance ait conclu que l’appelante n’avait pas pris toutes les mesures raisonnables pour prévenir la vente de tabac aux mineurs. Bien qu’il soit vrai qu’une preuve de directives générales est insuffisante, faute de vérifications ponctuelles et fréquentes, le Dépanneur 5 Étoires faisait beaucoup plus : les caméras, les affiches, les politiques du dépanneur, le livre de communication, les avertissements, les vérifications, la présence des membres de la famille et bien d’autres démarches. Cela est certes suffisant pour s’assurer que les directives soient appliquées au sein du commerce.

En conclusion, le juge d’instance n’a pas tenu compte de l’entièreté de la preuve soumise en défense et a imposé à l’appelante un fardeau de preuve au-delà de celui qui lui incombait : il a exigé la preuve d’une surveillance physique à la caisse de l’employée fautive au moment précis de l’infraction et non seulement la preuve que l’appelante a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question.

Ces erreurs justifient l’acquittement du Dépanneur 5 Étoiles, puisque ce dernier a fait preuve de diligence.

N’eût été ces erreurs de droit et de fait, le jugement de première instance n’aurait pas été le même et le dépanneur aurait été acquittée de l’infraction reprochée!

Rappelons en terminant que le Dépanneur 5 Étoiles s’est hissé au 22e rang du Palmarès DepQuébec des 100 dépanneurs les plus appréciés au Québec.

On peut trouver le jugement de première instance du Dépanneur 5 Étoiles ici et celui en appel ici. Le jugement en appel du Groupe Harnois est disponible ici.

En obtenant une victoire en appel qui vient rappeler que diligence raisonnable ne signifie pas infaillibilité et perfection, le Dépanneur 5 Étoiles vient de rendre un immense service à toute l’industrie et certainement alléger quelque peu le fardeau stressant qui pèse sur ses épaules.

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