EXCLUSIF: Pink Floyd, Bob Marley et Snoop Dog parmi les 600 marques de tabac à l’index du MSSS

Tout bon détaillant sait qu’il est interdit au Québec, en vertu de l‘article 27 de la loi sur le tabac, de vendre un objet autre que du tabac mais qui arbore une marque de tabac.

Or, et bien que simple en apparence, cet article de loi est bien plus difficile et complexe à appliquer par la police du tabac qu’il n’en a l’air.

Car des « marques de tabac » selon la définition du MSSS, il y en a des tonnes. En effet, loin d’être seulement les marques de cigarettes connues comme Du Maurier, Mark Ten ou Player’s qui sont concernées, on parle ici de tabac au sens large de la loi, ce qui ouvre la porte à toutes les marques sans exception de pipes et accessoires, papier à rouler, articles de fumeurs en grande partie, articles de vapotage et tout ce qui touche le cannabis et ce, partout dans le monde. Ouf!

En somme, des milliers de marques possibles sont visées par la loi. Et c’est pour aider les inspecteurs à y voir clair dans ce fouillis (ainsi qu’à pouvoir donner plus d’amendes) que le MSSS tient à jour un registre secret des marques honnies et bannies de tabac.

Ce registre unique (voir ici), véritable index des temps modernes, est gardé jalousement enfoui dans les voûtes du MSSS depuis toujours et n’a jamais vu la lumière du jour avant aujourd’hui, alors qu’il est enfin extirpé des profondeurs bureaucratiques pour la première fois et révélé en exclusivité dans toute sa splendeur par DepQuébec via la loi d’accès à l’information.

Et quelle ne fut pas notre surprise de constater que parmi les 600 mots, noms et marques maudites de cette liste (556 pour être plus précis) se trouvent également des artistes de renom tels que Pink Floyd, Bob Marley et même le rappeur Snoop Dog!

Mais est-ce à dire que ces artistes connus mondialement sont interdits d’écoute chez nous sous peine qu’ils ont prêté leur marque à du papier à rouler? Et qu’ils ne peuvent en théorie être ni vendus, ni écoutés et pas même en ligne?

Si c’est le cas, le Québec aurait officiellement rejoint les rangs de pays comme l’Iran, l’Arabie Saoudite et la Corée du Nord qui censurent sans gêne le contenu musical accessible au public. Et si l’on se fie à une interprétation littérale de l’article 27, on pourrait certes le croire mais fort heureusement, le MSSS nous assure que ce n’est pas le cas.

Rassurant? Pas tout à fait, comme nous le constatons plus loin.

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L’index des marques de tabac du MSSS comprend plusieurs marques fossiles comme les cigarettes Tremblay ou La Québécoise. Or, si l’on se fie au texte de loi, cela aurait été suffisant en principe pour interdire quiconque d’utiliser de telles marques sur d’autres produits comme l’ont fait Les Brasseurs RJ (bière Tremblay) ou encore, le Groupe La Québécoise avec son service d’autobus nolisé.
Une loi puritaine à l’excès

Tandis qu’en Ontario, la loi antitabac se contente d’y interdire toute forme de promotion du tabac sans entrer dans les détails, la loi québécoise pour sa part en beurre très épais.

« L’exploitant d’un commerce (…) ne peut vendre, donner ou échanger un objet qui n’est pas un produit du tabac si un nom, un logo, un signe distinctif, un dessin, une image ou un slogan qui est associé directement au tabac, à un produit du tabac, à une marque d’un produit du tabac ou à un fabricant de produits du tabac, à l’exception de la couleur, figure sur cet objet. » — Article 27 de la Loi concernant la lutte contre le tabagisme

Cet article de loi ne fait pas dans la dentelle en statuant que toute marque « associée directement » au tabac ne peut figurer sur un objet mis en vente qui n’est pas du tabac et ce, sous peine d’amende. Et même un simple slogan peut suffire!

Cela ratisse très large d’autant plus que dans le domaine des marques, les homonymes sont monnaie courante.

Par exemple, les pastilles de chocolat Rollo au caramel partagent le même nom que le papier à rouler Rollo. Les tubes à cigarettes Rockport et les souliers. Les cigarettes Vogue et le magazine. Or, le MSSS entend-il sévir? Pas vraiment.

Sans compter le fait que de nombreux mots d’usage courants font aussi l’objet de marques de tabac. Cela fait en sorte qu’en théorie, n’importe quel article mis en vente arborant un de ces mots pourrait faire l’objet d’une poursuite de la part d’un inspecteur zélé ou de mauvais poil. Cela ouvre la porte à bien des abus car un juge, se fiant au texte de loi, n’aurait d’autre choix que de le constater.

« Monsieur : le mot Azur qu’on voit sur votre t-shirt en étalage est bien une marque de tabac, de même que le mot Zen sur un autre. Donc, coupable! », conclurait-il sans ambage. Et les amendes peuvent atteindre 62,500$ pour une première offense!

marques tabac mots courants
Ces marques de tabac ont tous pour dénominateur commun d’être également un mot d’usage courant en langue française ou anglaise. La loi québécoise fait donc en sorte, en théorie, d’éliminer ces mots de tout affichage promotionnel peu importe le contexte dans lequel ils sont utilisés puisque la loi ne fait aucune nuance à ce chapitre.
Le cas Pink Floyd: quand trop, c’est trop

Lorsque Pink Floyd décide de prêter sa marque à du papier à rouler, qu’est-ce qu’il fait? Il associe directement sa marque à un produit du tabac. Donc, si l’on se fie à l’article de loi, la marque Pink Floyd pourrait en théorie être bannie de tout affichage promotionnel au Québec, incluant les CDs et disques vendus. Il n’y a pas d’exception prévue parce que ce sont des artistes.

Alors imaginez le scénario: la marque serait officiellement bannie au Québec. Les groupes antitabac jubileraient: quel bel exemple à donner au monde entier! Ça leur apprendra à endosser une marque d’un poison qui tue. Il deviendrait dès lors interdit de vendre ou d’acheter les oeuvres musicales de Pink Floyd au Québec. C’est en théorie ce que la loi suggère, sans aucune espèce de nuance.

Questionné par DepQuébec à ce sujet, le MSSS s’est défendu vigoureusement d’envisager un seul instant d’interdire un artiste ou un groupe de musique tel que Pink Floyd de se produire ou de vendre de la musique sous peine qu’il endosse un produit du tabac.

« Les 600 noms et mots identifiés sur la liste ne sont pas automatiquement identifiés comme des marques de tabac. C’est particulièrement vrai dans le cas d’artistes (Bob Marley, Pink Floyd, etc.). Ce qui n’est pas permis, c’est faire la promotion du tabac.  Pour résumer : Vendre un t-shirt à l’effigie de Bob Marley est permis. Vendre un t-shirt qui fait la promotion du papier à rouler de marque Bob Marley est interdit. » — Marie-Claude Lacasse, porte-parole du MSSS.

Ainsi, on peut être une marque de papier à rouler sans être nécessairement bannie partout en tant que marque de tabac. Mais tout cela n’est quand même pas très clair!

accessoires tabac
Maintenir à jour un inventaire de marques de tabac couvrant autant de catégories différentes de produits s’avère une tâche titanesque et forcément incomplète. Par exemple, le papier à rouler Cheech & Chong se trouve bien dans la liste du MSSS, mais pas celui des Rolling Stones. Et le fabricant Storz & Bickel qui manufacture des produits de chauffage du cannabis à des fins d’inhalation comme ce four portatif, devrait logiquement être considéré comme une marque de tabac. Pourtant, son nom ne se trouve pas sur le liste et ce, malgré le fait que la SQDC elle-même offre en vente l’un de ses accessoires (égraineuse en jaune)!
Une application à deux vitesses

Le fouillis des marques et l’aspect excessif de l’article 27 se traduisent sur le terrain par un mode d’application à deux vitesses qui se résume ainsi: on tape fort sur les petits et les faibles qui n’ont pas les moyens de se défendre mais on laisse tranquille les gros et les puissants qui savent se battre et sortir les gros canons.

La première vitesse est une application sévère et très peu tolérante de la loi sur tous les articles étalés à la vue dans les boutiques d’articles de fumeurs, de vapoteries et auprès des détaillants de tabac en général.

On le voit par exemple pour la Boutique N’importe Quoi à Sherbrooke qui est présentement poursuivie par le DPCP pour avoir osé publier des photos d’articles de fumeur à vendre sur sa page facebook (voir jugement ici).

Quant à la deuxième vitesse, le MSSS laisse passer tout ce qui offert en vente sur internet en provenance de l’extérieur du Québec. Et on parle ici de gros joueurs connus comme par exemple Amazon.

produits interdits amazon
Sur le site canadien du géant Amazon, des milliers de produits interdits par la loi sur le tabac sont en vente libre et peuvent être livrés sans problème au Québec: t-shirts aux couleurs de marque connue de tabac, papiers à rouler de diverses marques et non réglementaires (pas de respect de l’emballage neutre), pipes et accessoires, produits du tabac comme de la shisha, accessoires de cannabis et panoplie d’articles promotionnels avec images, marques et slogans associés DIRECTEMENT au tabac. Et que fait le MSSS? Rien.

Même chez Walmart Canada, qui est beaucoup plus responsable et respectueux de la réglementation québécoise en général, on peut trouver des articles interdits (voir ici et ici, soit des t-shirts en vente libre dans lequel Bob Marley affiche son penchant prononcé pour l’herbe magique).

Et ce, sans compter la panoplie complète de sites internet sur lesquels on peut facilement commander et se faire livrer des produits du tabac comme Vape Store, DashVapes ou Canada Vapes.

Il s’agit donc d’une loi et d’une réglementation qui, dans les faits, s’avèrent inapplicables pour empêcher l’accès de ces produits aux Québécois et ce faisant, foncièrement discriminatoire pour les propriétaires québécois de commerces de proximité qui, eux, contrairement aux exploitants de sites internet de l’Ontario ou d’ailleurs, sont soumis en plus au régime fiscal coûteux de même qu’aux lois sévères du travail québécois.

boutique n'importe quoi
La sympathique Boutique N’importe quoi de la rue King à Sherbrooke est prise à se défendre seule contre les inspecteurs du MSSS qui l’accusent d’avoir publié quelques photos de produits du tabac sur sa page facebook alors qu’au même moment, le géant Amazon.ca en publie des milliers sans se faire inquiéter une seconde par le MSSS.

Une telle loi, en ce sens, mérite d’être modifiée au plus vite ou voire même, abrogée complètement pour que cesse cette injustice.

Le nouveau petit catéchisme québécois

En 1559, le Concile de Trente instaurait l’Index des livres interdits, une liste d’ouvrages jugés immoraux ou contraires à la foi que les catholiques ne sont pas autorisés à lire.

Or, il a fallu pas moins de 400 ans pour que le Vatican retire enfin, en 1966, l’interdit formel lié à cet outil de contrôle des adeptes de la religion catholique.

Mais l’idée de contrôler les masses via une liste d’interdits aura-t-elle vraiment disparu? Il semble bien que non si l’on se fie au registre des marques honnies du MSSS.

Et rappelons que si l’on a atteint un tel niveau de ridicule, c’est non par souci de réfléter les valeurs profondes des Québécois qui ont rejeté la domination religieuse depuis longtemps, mais bien en raison du lobbying occulte mené depuis 25 ans par la Santé publique au Québec et ce, à même les fonds publics.

Comme quoi il serait temps que le Québec commence à se réveiller à cette réalité honteuse.

t-shirt arruda
Dans son état actuel, la loi peut toutefois avoir du bon. Il suffirait par exemple qu’une personne ait l’idée saugrenue de lancer une marque de papier à rouler « Horacio » et « Arruda » pour que ces deux noms et marques deviennent interdites pour usage promotionnel et affichage au Québec et ainsi, nous débarrasser du même coup et une fois pour toutes de tous les t-shirts du même nom. N’est-ce pas une piste de solution porteuse pour un début de justice?

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