EXCLUSIF — DepQuébec réussit le tour de force d’inclure 350 tabagies parmi les services essentiels

À force de s’intéresser à leur sort et à questionner le gouvernement sur leur statut, DepQuébec est parvenu à faire une grande différence pour les 350 propriétaires de tabagies au Québec qui sont maintenant assurés à 100% de pouvoir rester ouverts et en affaire.

Contrairement à ce que nous écrivions jeudi dernier (voir article ici),  les tabagies n’ont plus besoin de se déguiser en dépanneur pour pouvoir rester en affaires durant la période de fermeture des commerces non essentiels qui s’étend maintenant jusqu’au 4 mai prochain.

En effet, le gouvernement a finalement décidé, tout bien réfléchi, de les inclure en tant que service essentiel pour ce qu’elles sont, soit des distributeurs de tabac. Et bien que ce ne soit pas encore indiqué sur la liste des services essentiels (voir ici) au moment de mettre sous presse, ni même publié dans la Gazette officielle (voir ici), ce le sera dans les prochaines heures, éliminant ainsi toute confusion quant aux intentions du gouvernement à cet égard.

DepQuébec a effectivement appris ces bonnes nouvelles en mettant la main sur le décret 2020-014 adopté par la ministre Danielle McCann jeudi dernier, décret qui ordonne la fermeture des épiceries le dimanche et qui mentionne, au passage, l’inclusion des tabagies parmi les services essentiels rendus à la population!

decret 2020-014
Le décret 2020-014 signé par la ministre Danielle McCann confirme que dépanneurs et tabagies sont un service essentiel (cliquez sur l’image pour voir et télécharger le décret).

Comme on le voit sur l’extrait du haut, ordre a été donné de modifier la liste des services essentiels afin de mieux définir le terme vaste et flou de dépanneur — un commerce jugé essentiel — par l’ajout de la précision suivante:

 Dépanneur (incluant les tabagies qui ne sont pas des points de vente de tabac spécialisés)

L’impact est clair et sans équivoque pour les tabagies. Tellement que pas plus tard que vendredi dernier, armé de cette information, nous avons pu permettre à deux tabagies de réouvrir leurs portes après avoir reçu une ordonnance de fermeture par les forces policières qui, à la vue du décret 2020-014 et ce, dans les deux cas, ont renversé leur décision.

Ce même décret a toutefois eu, hélas, l’effet opposé pour un propriétaire d’un point de vente de tabac spécialisé qui a dû se résigner à la fermeture de son magasin après avoir vainement espéré pouvoir continuer de l’exploiter en ajoutant du lait et des oeufs à son inventaire (voir article ici).

Et tout cela n’est rien de moins que l’aboutissement de deux semaines de questions et de parties de ping-pong entre DepQuébec et diverses instances au gouvernement qui ont eu toutes les misères du monde à accorder leurs violons!

Tabagie et spécialiste : une distinction fondamentale

Le décret vient ainsi spécifier que les tabagies peuvent rester ouvertes mais pas les points de vente de tabac spécialisés. Qu’est-ce à dire?

Les points de vente de tabac spécialisés sont une catégorie distincte de détaillants car soumis à des articles de lois spécifiques. Contrairement aux dépanneurs, ils ont le droit d’étaler les produits du tabac à la vue de la clientèle mais, en échange, ont l’obligation d’interdire l’accès de leur magasin aux mineurs. En plus de devoir s’inscrire à un registre, ils doivent par ailleurs respecter un quota d’inventaire dans lequel 75% de la valeur minimale de leur marchandise offerte en magasin est reliée au tabac.

Les tabagies, pour leur part, n’ont aucune réglementation spécifique qui les distinguent des dépanneurs. Il s’agit en fait de dépanneurs spécialisés en tabac, en revue et magazines et autres articles (ex: des items de collection) qui peuvent, selon le cas, offrir ou non des articles alimentaires et si c’est le cas, avoir ou non un permis du MAPAQ de maintien d’aliment chaud ou froid comme le lait ou les oeufs.

Le terme bien connu de « tabagie » n’a aucune portée légale ou réglementaire, mais sert uniquement à mieux informer le consommateur quant à la spécialisation du magasin. Cela étant, une tabagie à Rouyn peut offrir du lait ou des oeufs tandis qu’une autre à Saguenay, n’avoir que du tabac et des revues. La plupart toutefois offrent minimalement des breuvages et des confiseries, ces items ne requérant pas de permis du MAPAQ car ils peuvent être offert à la température pièce sans risque de contamination pour les consommateurs.

D’où la question lancinante posée dès le début par DepQuébec au gouvernement: si les dépanneurs sont un service essentiel, est-ce que cela inclut les tabagies et sinon, pourquoi pas?

Saga d’une décision complexe

L’inclusion réussie des tabagies comme service essentiel est une véritable saga qui remonte au lundi 23 mars dernier, jour de l’ordonnance par Québec de la fermeture de toutes les entreprises jugées non essentielles.

Faite en début d’après-midi, cette annonce a généré une vague d’anxiété généralisée dans les cercles d’affaires jusqu’à la publication, en fin de journée, de la fameuse liste « Schindler » des survivants de cette ordonnance, soit tous les commerces pouvant rester ouverts.

Cet épisode, nous l’avons su par après, s’est avéré une véritable épreuve pour le gouvernement comme nous l’a appris l’excellent journaliste Denis Lessard dans La Presse, toujours au fait des tractations de coulisse.

Quand François Legault a ordonné la fermeture de toutes les entreprises jugées non essentielles, il n’avait pas encore en main une liste, même approximative, de ce qui était touché. (…) Les questions sans réponses étaient nombreuses. Et dans les minutes qui ont suivi, le gouvernement a reçu un véritable tsunami de démarches d’entreprises, de lobbyistes, d’associations revendiquant un statut particulier pour leur secteur. — Derrière la grand messe, Denis Lessard, La Presse, 6 avril 2020

Parmi les nombreuses requêtes faites, celle de DepQuébec concernait le sort des tabagies et biéristes. Nous voulions simplement savoir si ces commerces étaient considérés comme des dépanneurs ou non. Question difficile pour laquelle nous avons été référés au porte-parole du Conseil exécutif et Secrétariat au trésor, M. Jean Auclair, qui nous a finalement indiqué par courriel que oui, en effet, ce serait le cas, que les tabagies seraient considérées comme des dépanneurs.

Le service d’inspection du MSSS dit non

Une fois la mise à jour faite par DepQuébec auprès des lecteurs (et la publication du courriel de confirmation de M. Auclair, voir ici), nous nous sommes vites butés au MSSS pour réaliser que les choses n’allaient pas être aussi simples et faciles sur le terrain.

Voulant valider cette information auprès du MSSS, des propriétaires de tabagie se sont fait répondre que malgré l’information documentée diffusée par DepQuébec, ils ne seraient pas considérés comme dépanneur par les inspecteurs ni même par les forces de police qui les secondent dans l’application de la loi.

Aux yeux du MSSS, en effet, une tabagie n’est pas un dépanneur. Un dépanneur vend des aliments de base comme du lait et des oeufs, qui permettent à la population de subsister. Ainsi, à moins d’offrir des oeufs et du lait comme un dépanneur, ce qui requiert notamment un permis du MAPAQ, les tabagies devront toutes fermer.

Et comme de fait, sur le terrain et souvent à la suite de plaintes de la population, plusieurs tabagies ont été la cible d’inspections tant du MSSS que des policiers municipaux ou de la SQ et conséquemment avisés de fermer leurs portes sous peine d’amende, qu’ils aient ou non reçu un avis de service essentiel de la part du ministère de l’Économie (une autre démarche parallèle possible pour établir son statut). Et quant à l’article de DepQuébec, rien de tout cela n’était assez officiel aux yeux des autorités.

On semblait donc se diriger résolument vers ce compromis alimentaire d’autant plus que le Conseil exécutif, par la voix de son porte-parole, a confirmé ultimement que les dépanneurs jugés essentiels se devaient d’offrir « des aliments et des breuvages ».

Reconnaissance formelle

Mais il semble qu’il en a été décidé autrement en fin de compte puisque la ministre McCann elle-même a établi que les tabagies font maintenant partie des services essentiels.

Fini les oeufs, le lait, le pain ou quoi que ce soit. Une tabagie peut rester ouverte, point. Même si elle ne vend que du tabac, des articles de fumeurs, des bongs, 40 sortes de papier à rouler et autres.

Voilà qui est quand même ironique de la part des autorités de la Santé publique, à savoir de permettre aux distributeurs de tabac de continuer d’exploiter leur commerce, eux qui haïssent le tabac pour mourir.

Ce faisant, ils semblent avoir adopté à l’égard du tabac la même résignation qu’avec l’alcool et le cannabis, soit que ce n’est pas le temps présentement de retirer à la population ses vices alors que l’anxiété et le stress pourraient miner les gens encore davantage et venir empirer les problèmes en cours.

Autrement dit, la priorité est à la lutte au virus, point.

En ce sens, il est difficile de comprendre pourquoi le gouvernement permet ainsi l’ouverture des 350 tabagies du Québec et pas celle des 450 boutiques de vapotage. Et pourquoi alors interdire les points de vente de tabac spécialisés qui se comptent presque sur les doigts de quelques mains?

De fait, nous allons de surprise en surprise dans cette crise et il ne serait pas étonnant que tout cela soit encore appelé à changer… de gré ou de force, car les boutiques de vapotage entendent bien faire valoir leurs droits et sont sur le sentier de la guerre.

Mais pour ce qui est des tabagies, c’est réglé pour de bon: elles n’ont plus à s’en faire une miette. C’est toujours bien ça de pris.

Qu’est-ce qu’on dit à son portail préféré?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *