Mentir pour mieux vous attraper, pourquoi pas? Toutes les bassesses sont permises au MSSS

Comme à tous les étés depuis 20 ans, la venue du beau temps signifie le retour des inspections pièges de la police du tabac du MSSS ainsi que la crainte inhérente pour les dépanneurs de recevoir une amende salée de près de 3,750$ (frais inclus) pour une vente de tabac à un mineur ainsi qu’une suspension de trois mois de vente de tabac en cas de récidive.

Ainsi, au cours des deux prochains mois, une petite armée de jeunes adolescents mineurs recrutés par le MSSS vont se faire un malin plaisir à tenter de prendre les commis et détaillants en défaut. Or, bien qu’on ne puisse prédire combien ils seront cette année, quelles régions seront visitées et combien d’inspections seront menées, on peut se faire une bonne idée du phénomène en analysant les statistiques récentes et en parcourant les plus récents jugements.

La bonne nouvelle est que les inspections pièges sont en baisse notable avec un détaillant sur quatre visité annuellement en moyenne, soit seulement le tiers des inspections menées en 2014.

La mauvaise nouvelle est qu’elles sont de plus en plus vicieuses, les inspecteurs étant à l’évidence frustrés devant la conformité exemplaire des détaillants année après année et la difficulté soutenue de les prendre en défaut.

Voilà donc ce qu’il faut savoir pour composer avec les inspections pièges toxiques en 2024 et surtout, pour éviter de se faire prendre. Et sur ce, bonne chance!

#1: Une chance sur quatre d’être inspecté cet été

La méthode brutale et sans pitié d’inspection piège du MSSS a ceci de bon qu’elle a forcé les détaillants à se surpasser. Résultat: une conformité record de 96,6% a été atteinte l’an dernier, un taux si élevé qu’on peut presque parler ici de sommet de l’Éverest.

Ce succès méritoire rend sans doute plus difficile de justifier des milliers et des miliers d’inspections annuelles qui coûtent cher, ce pourquoi elles viennent d’atteindre un creux historique de 1,760 l’an dernier (voir tableau ci-haut). On peut donc s’attendre, sous toute réserve, à ce qu’environ un détaillant sur quatre soit inspecté cet été.

Mais en même temps, moins d’inspections signifie plus de presssion sur les épaules des inspecteurs pour continuer de prendre en défaut les détaillants et ainsi, justifier le maintien, voire la hausse de leur budget.

#2: L’inspecteur mineur a la permission de mentir

Plusieurs pensent à tort qu’un inspecteur mystère du MSSS n’a pas le droit de mentir durant une inspection ou encore d’affirmer faussement qu’il est majeur si on lui demande.

Or, le 14 décembre dernier, la juge Tanya Larocque a déboulonné ce mythe en trouvant le dépanneur Deauvillois (Beau-Soir Pétro-Canada) coupable d’avoir vendu à un mineur (voir le jugement ici) malgré un mensonge de l’inspecteur.

En effet, le 12 juillet 2022, un adolescent embauché par le MSSS s’est présenté dans le commerce de Jocelyn Gaudreau situé au 7209 boul. Bourque à Sherbrooke alors que ce dernier est justement à la caisse pour remplacer temporairement une employée.

L’inspecteur mystère lui demande une sorte de cigarette qu’il n’a pas alors M. Gaudreau lui offre une autre sorte que l’inspecteur accepte.

« T’as 18 ans ? » lui demande M. Gaudreau ce à quoi l’inspecteur répond : « ben oui ». Il lui demande ses cartes d’identité. L’inspecteur tâte ses poches et dit que « non, je ne les ai pas ». M. Gaudreau lui vend quand même les cigarettes.

La juge conclut :

Certes, l’inspecteur ment sur son âge, mais M. Gaudreau lui vend les cigarettes malgré l’absence de vérifications des cartes d’identité de l’inspecteur et sans autres démarches, tel que lui demander sa date de naissance. — Juge Tanya Larocque

Certes, il pourrait y avoir matière à un pourvoi en cour d’appel sous motif de provocation policière, mais qui a les moyens et le temps de se lancer dans pareille démarche?

Chose certaine, ce mensonge a été autorisé par le MSSS (voire peut-être même encouragé), avalisé par la DPCP dans sa poursuite et légitimé en tant que technique d’approche acceptable par la magistrate. Donc, on risque de voir cette pratique s’étendre et se banaliser.

Mais pour ce qui est de l’éthique de l’affaire, compte-tenu aussi des taux de conformité exceptionnels des détaillants, on repassera.

#3: La diligence raisonnable prend le bord quand c’est le proprio qui vend

Comme on l’a vu avec le dépanneur Deauvillois, il arrive parfois que le propriétaire lui-même est pris en défaut et non son employé. Plusieurs jugements récents reflètent d’ailleurs de telles situations (voir ici, ici et ici).

Naturellement, en pareil cas, la défense de diligence raisonnable ne tient plus.

La recevabilité de la défense de diligence raisonnable d’un employeur est subordonnée au fait que l’infraction a été commise contre le gré ou à l’insu de celui-ci. La preuve révèle que c’est le propriétaire a procédé à la vente du tabac à l’inspecteur mineur. La défense de diligence raisonnable de l’employeur n’est donc pas recevable dans le cas présent. – Juge Anne-Marie Sincennes, DPCP vs Gaz Bar Mario-Jean, 28 nov. 2022

Face à la preuve d’avoir vendu à un mineur et sans diligence raisonnable, la barre devient beaucoup plus haute pour se faire acquitter. Cela prend en effet des circonstances assez exceptionnelles.

Certains ont tenté de justifier le port du masque par l’inspecteur comme raison de s’être trompé, mais aucun juge n’a accepté de tels arguments.

M. Jean explique qu’à cause du couvre-visage dont le port est obligatoire en raison de l’état d’urgence décrété par l’État, il est difficile de jauger l’âge d’un client. Le tribunal ne peut pas retenir ces arguments. En effet, si la difficulté d’identifier un mineur est accrue, les moyens pour s’assurer que le client n’est pas mineur doivent être revus en conséquence. – Juge Anne-Marie Sincennes, DPCP vs Gaz Bar Mario-Jean, 28 nov. 2022

Les seuls cas d’acquittement que nous avons retracés sont reliés à des erreurs commises par la poursuite, ex : la date de l’inspection ne correspond pas au reçu présenté ou encore, le récit est nié par le commis qui affirme s’en souvenir très bien.

A tous égards, si vous êtes propriétaire et que vous avez vendu, au moins n’aurez-vous personne d’autre que vous à blâmer!

#4: Des inspecteurs créatifs qui font tout pour vous mêler

Lorsque les inspections ont commencé il y a plusieurs années, le modus vivendi était toujours le même. L’inspecteur mystère se présentait au comptoir avec un billet de 20$, demandait un paquet de cigarette et quittait les lieux précipitamment.

Aujourd’hui, on peut lire dans les jugements une panoplie de variations sur ce thème :

• On se présente dans le commerce et on fait divers achats qui n’ont pas de rapport : bonbons, pot de moutarde, sachet de crème de champignon, etc.

• On paie avec une carte de crédit prépayée: ça fait moins louche que payer comptant;

• On achète d’autres choses que des cigarettes pour tester le détaillant: du papier à rouler, du vapotage ou des petits accessoires de vapotage ou cannabis. Peu importe, l’amende est la même!

Par ailleurs, les inspecteurs tentent toujours de mettre les commis à l’amende également (en plus de l’exploitant) mais cela demande plus d’ouvrage. Parce qu’ils doivent obtenir une preuve de son identité, l’inspecteur adulte qui accompagne le jeune est souvent tenu d’entrer dans le magasin tout de suite après l’infraction mais pour certaines raisons, cela n’est pas toujours possible. S’il revient le lendemain, il doit alors se fier sur la description physique donnée par le jeune pour identifier le commis, et c’est souvent là que ça se complique.

Soyez en alerte du 21 juin au 30 août 2024

Toujours est-il que les inspections se déroulent en général les jours de semaine en été. Cela signifie donc grosso modo 50 journées d’opération où vous vous devez d’être beaucoup plus vigilants qu’à l’habitude.

Profitez-en pour fouetter vos troupes et vous mettre en alerte:

• Assurez-vous que votre affichage est en règle, que vos mesures sont en place et que tout le monde est bien formé, au courant et préparé;

• Insistez pour que vos employés demandent les cartes d’identité et les examinent attentivement;

• Rappelez aux employés que les inspecteurs ont le droit de mentir. Mettez-les en garde de ne jamais donner de chance à un client simplement parce qu’il a l’air sincère ou sympathique;

• Renforcez temporairement la directive de carter tous les clients ayant l’air de 25 ans ou moins, à 30 ans ou moins;

• Insistez auprès de vos employés pour rester méfiants envers tous les clients de tabac qu’ils n’ont jamais vus;

• Restez en contact avec les autres détaillants à proximité : lorsque les inspecteurs sévissent, ils couvrent en général un secteur à la fois;

• Faites des tests vous-mêmes en demandant à des jeunes inconnus de vos employés de tenter leur chance.

Ça vaut grandement la peine d’investir du temps en prévention, d’autant plus que c’est votre devoir comme bon citoyen corporatif au coeur de la communauté.

C’est bon aussi pour les affaires : il y a assez de défis comme ça à exploiter un dépanneur, inutile de s’en rajouter!