La révolution DoorDash: Menace ou opportunité pour les dépanneurs québécois?

Le secteur hautement compétitif de la livraison de nourriture est sur le point de connaître un tournant important pour les dépanneurs au pays avec la poussée phénoménale de DoorDash, le leader mondial incontesté du secteur qui détient près de la moitié du marché au sud de la frontière.

En effet, alors que les différents services actuellement offerts — Uber Eats, Skip et autres — se concentrent essentiellement sur les mets de restaurant, DoorDash est la première application mobile à étendre son offre aux articles de commodité offerts en dépanneur.

Et non seulement DoorDash offre-t-elle à ses 18 millions de clients américains, depuis avril dernier, de pouvoir commander auprès de grandes chaînes de dépanneur telles que Circle K, 7-Eleven et Casey’s, mais elle vient même tout juste de lancer, en août dernier, sa propre bannière de dépanneur virtuel — DashMart — qui vient ainsi concurrencer directement les dépanneurs traditionnels en offrant les mêmes produits mais livrés à partir de ses propres centres de distribution, sans intermédiaire et sans avoir à supporter les mêmes coûts d’infrastructures.

Il faut donc s’attendre à ce que DoorDash lance bientôt un service similaire au Québec et tente ainsi de s’accaparer la part de lion des livraisons d’articles de commodité.

S’agit-il donc d’une opportunité ou plutôt, d’une menace pour les dépanneurs? Les indépendants sont-ils à risque et aussi, quels seront les coûts d’embarquer ou non dans une telle aventure?

La réponse à cette question clé est cruciale pour les propriétaires car l’avenir du marché est peut-être bien en train de se jouer, rien de moins!

livraison doordash
Aux États-Unis, DoorDash est le leader incontesté de la livraison avec près de 50% du marché. Et c’est loin d’être réservé aux menus de restaurants puisque la société offre également accès à 2500 produits offerts en dépanneur.
La livraison via une application mobile: une offre très complexe

L’offre alimentaire via une application mobile nécessite des algorithmes très complexes pour être capable d’offrir en temps réel, et selon chaque localisation donnée, une offre complète de livraison comportant tous les paramètres, soit la sélection de magasins ou restaurants à proximité, la durée estimée de livraison, le coût estimé de livraison et le coût de chaque produit.

La complexité ne s’arrête pas là puisqu’il faut, dès la commande entrée et payée, remplir les attentes et livrer dans les délais requis une nourriture à bonne température ou encore, en bon état.

Pour réussir cet exploit jour après jour de manière consistante, le recrutement, la formation et la disponibilité de livreurs fiables dans chacun des marchés couverts est la clé de voûte. Un tel modèle doit par ailleurs réunir toutes les conditions d’un cercle vertueux dans lequel plus de magasins participants attireront plus de commandes qui feront vivre plus de livreurs et ainsi de suite.

Cet immense château de cartes, on le voit d’ici, nécessite de faramineux investissements avec, à la clé, une profitabilité qu’on peut espérer à long terme seulement. Mais à court terme, seules les parts de marché sont importantes car comme on l’a vu à maintes reprises dans des circonstances similaires (ex : facebook), le dominant sera bien souvent celui qui rafle tout, le seul à se tenir debout en fait, ce qui exige d’atteindre le sommet coûte que coûte et ce, quel qu’en soit le prix. Les règles de ce jeu sont claires: c’est dominer ou mourir.

Cela prend donc des reins solides pour percer dans cette industrie comme l’a rappelé, au printemps dernier, la fermeture abrupte de Foodora, un service de livraison canadien trop petit pour réaliser ses ambitions et réussir une percée durable.

Or, ce n’est pas le cas de DoorDash, loin de là!

doordash dashmart
COMPÉTITEUR ET PARTENAIRE: Aux États-Unis, l’application DoorDash comprend une section « Dépanneur et épicerie » dans laquelle, selon sa localisation, le client se voit offrir les articles d’une chaîne localisée à proximité ou encore, ceux de son propre dépanneur virtuel DashMart, maintenant en concurrence direct avec les dépanneurs traditionnels.
Un géant est né

Pas plus tard qu’hier, DoorDash a connu une entrée fracassante en bourse, journée au cours de laquelle son action a presque doublé par rapport à son prix d’introduction de 102 US$, le tout conférant à l’entreprise une valorisation d’environ 68 milliards de dollars, soit davantage qu’Alimentation Couche-Tard et ses quelque 15,000 magasins et 109,000 employés dans le monde.

Elle vient donc d’obtenir plus de 3 milliards US$ d’argent frais pour prendre d’assaut tous les marchés en Amérique du Nord, dont le Québec.

En avril dernier, pandémie aidant, DoorDash surprenait tout le monde en annonçant ouvrir une section « dépanneur » dans son application mobile. Quelques mois plus tard à peine, elle lançait DashMart, son propre dépanneur virtuel dans lequel on peut commander 2,500 articles de commodité dont la crème glacée, les boissons gazeuses et la nourriture pour chiens.

Or, tous les magasins DashMart sont détenus, gérés et exploités par DoorDash. Celle-ci passe donc ici d’aggrégateur de commerces à concurrente directe des dépanneurs!

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Contrairement à ses compétiteurs Skip et Uber Eats, DoorDash investit dans des centres de distribution de produits d’épicerie et de dépanneur qui contiennent chacun environ 2000 articles afin de concurrencer directement ces derniers et de dégager de meilleures marges.
La livraison : un casse-tête bientôt résolu?  

Le confinement engendré par la pandémie s’est avéré un formidable accélérateur pour l’industrie de la livraison à partir d’une application mobile.

Pour la plupart des restaurateurs, et malgré une commission élevée de 20% à 30% exigible sur les ventes, la croissance de ce service s’est avérée une véritable bouée de sauvetage compte tenu de la fermeture forcée de leur salle à manger.

Mais pour ce qui est des dépanneurs, en revanche, c’est une toute autre histoire.

En effet, les marges d’un dépanneur sont loin d’équivaloir à celles d’un restaurateur: elles sont beaucoup plus minces. Un dépanneur n’a pas les moyens de verser 30% pour faire livrer un 2 L de lait 3.25%. Au prix minimum de 3,64$, cela lui coûterait 1,09$ alors que sa marge est d’à peine 20 cents. Il n’y a pas d’avenir ni de sens à livrer à perte!

Cela explique pourquoi les grandes chaînes de dépanneur comme Couche-Tard ont toujours hésité et hésitent encore avant d’adopter une solution universelle, préférant y aller de projet pilote en projet pilote comme au Texas avec Favor. Certains toutefois, comme Casey’s, se sont lancés résolument dans la livraison tandis que d’autres, comme 7-Eleven, préfèrent miser sur des partenariats comme celui avec DoorDash.

Mais le risque de frayer avec DoorDash est clair, soit celui de créer un monstre qui, un jour pas si lointain, va venir littéralement couper l’herbe sous le pied des dépanneurs traditionnels en raflant toutes les commandes pour lui, à meilleure marge puisqu’il n’a pas à supporter les coûts très élevés que requiert la maintenance d’un magasin ouvert à la clientèle.

De la proximité physique, on pourrait alors passer à la proximité digitale, qui serait le modèle de l’avenir.

Car DoorDash aussi veut faire de l’argent avec les articles de commodité, ce pourquoi, à peine quelques mois après avoir annoncé leur partenariat avec les grandes chaînes, ils ont lancé DashMart afin de contourner les dépanneurs ayant pignon sur rue.

Il reste que si la livraison par application mobile vient à s’imposer, c’est tout le concept de proximité qui se voit remis en question. Car dans leur modèle actuel, les dépanneurs peuvent seulement espérer faire de l’argent en attirant des clients en magasin. C’est pour cela qu’ils payent un loyer, remplissent les étagères et nettoient les surfaces jour après jour.

Si les consommateurs, pour leur part, amorcent un virage vers la livraison et que les prix chutent de plus en plus en raison de la popularité grandissante du phénomène, c’est DoorDash (et peut-être les chaînes de dépanneur les plus innovatrices) qui en sortiront grandes gagnantes.

Seule consolation: la réglementation interdit la livraison de tabac, vapotage et loterie… du moins, pour l’instant!

Mais cela pourrait changer… ça aussi.

livraison et pandémie
La livraison a connu un élan sans précédent grâce à la pandémie et il est fort à parier qu’une fois celle-ci derrière nous, les habitudes des consommateurs vont restées marquées et auront changé pour de bon.

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