EXCLUSIF : La RACJ a augmenté en cachette de 2,5% le prix minimum de la bière depuis 10 ans

Voici une petite consolation pour les dépanneurs, épiceries, supermarchés et brasseurs du Québec dont la plupart estiment que le prix minimum de la bière est beaucoup trop bas et qu’il ne monte pas assez vite d’année en année.

Ces derniers ont reçu depuis 10 ans un cadeau inespéré, soit une hausse véritable d’environ 2,5% du prix minimum valant au bas mot 160 M$ additionnels de revenus minimums garantis de la part de la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) et ce, sans même s’en apercevoir!

Et tout indique que cette tendance devrait se maintenir, voire même s’accentuer au cours des prochaines années, d’autant plus que l’année dernière (2017) a été la plus généreuse pour l’industrie depuis les 10 dernières années.

Mais de quoi s’agit-il?

Simplement des conséquences reliées à une technicalité de bureaucrate faisant en sorte que le prix minimum de la bière est depuis toujours indexé selon l’Indice des prix à la consommation (IPC) du Canada et non du Québec.

Un prix minimum dopé aux hormones canadiennes

En effet, si vous étiez sous l’impression que le prix minimum de la bière au Québec était simplement « indexé » chaque année à l’inflation et non « augmenté », détrompez-vous.

Car la RACJ, dont c’est le mandat, a bel et bien pour mission « d’indexer » les prix minimums de la bière à chaque année, mais elle le fait non pas en utilisant l’Indice des Prix à la Consommation (IPC) du Québec, mais plutôt celui du Canada, comme elle le souligne ici :

Les prix minimums de la bière vendue par un titulaire de permis d’épicerie sont ajustés au 1er avril de chaque année selon l’évolution de l’indice des prix à la consommation pour le Canada au cours de l’année précédente. – site internet de la RACJ.

Ce faisant, la RACJ se prête au jeu des inflations différentielles, dans le sens où si, au cours d’une année, l’inflation canadienne est plus élevée que la québécoise, le prix minimum sera dans les faits augmenté; s’il se produit l’inverse, il sera diminué et si les deux inflations sont égales, il sera alors véritablement indexé.

Vive l’inflation canadienne! Cette caisse de 60 canettes de 355 ml renferme 21,3 L de bière Coors Light dont la teneur en alcool est de 4%. Vendue chez Costco au prix minimum de 2,9777$/L (et sans taxe en plus si vous en achetez deux!), elle se détaille 63,43$. Advenant que depuis 10 ans, la RACJ se soit basée sur l’IPC Québec plutôt que l’IPC Canada, cette caisse serait à vous pour 1,55$ de moins, soit 61,88$ (au prix minimum de 2,9052$/L) ou 2,44% de moins. Une différence significative!
Sauf que l’IPC canadien est presque TOUJOURS plus élevé!

Or, pourquoi l’IPC du Canada et pas celui du Québec? Difficile à dire. Il faudrait sans doute remonter à l’origine de l’adoption de cette loi pour le savoir.

Toujours est-il que cette décision s’est avérée particulièrement payante pour l’industrie puisque depuis une décennie, l’IPC canadien a été significativement plus élévé (surtout depuis cinq ans), sauf à quelques reprises, que l’IPC québécois, comme on le voit au tableau suivant.

Depuis 2007, sur une période couvrant 11 années, il n’est arrivé qu’à trois reprises que l’IPC canadien soit plus faible que l’IPC québécois et à une reprise que les deux soient égaux. Autrement, l’IPC canadien est systématiquement plus élevé que l’IPC québécois, pour totaliser une diférence de 2,5 % au bout du compte sur la période au complet.

Le fait que l’inflation soit plus élevée en général dans le reste du Canada qu’au Québec n’est pas en soi une surprise.

Bien que l’inflation débridée est synonyme d’économie chancelante comme le Vénézuela en ce moment, sa version modérée reflète souvent le dynamisme d’une économie et comme nous partageons la même monnaie que les autres provinces, celles ayant plus de croissance que le Québec comme l’Ontario et l’Ouest canadien connaissent habituellement plus d’inflation que nous, qui demeurons une province pauvre.

D’après la base de données CANSIM du gouvernement fédéral (voir tableau ici), il n’est arrivé qu’à seulement 12 reprises depuis 1980 que l’inflation au Québec soit plus élevée que celle du Canada, pour un différentiel cumulatif de 4,12 % de hausse additionnelle de l’IPC pour le Canada vs le Québec sur 38 ans.

C’est donc dire que le phénomène s’est accéléré puisque depuis seulement 10 ans, le différentiel a atteint 2,5%, soit plus de la moitié du différentiel total atteint et ce, pour le dernier quart de la période étudiée.

Un effet de levier pour le prix minimum

Maintenant, comme nous allons le voir très clairement (et excusez la profusion de chiffres), le fait d’indexer le prix minimum de la bière à un taux d’inflation supérieur à celui du Québec a tout simplement comme conséquence d’augmenter le prix minimum en réalité de manière très subtile.

Si on compare les indexations décrétées par la RACJ le 1er avril de chaque année aux différents taux d’inflation du Québec, on voit très clairement cette marge de 2,50% se dégager en faveur des indexations et ce, même avec une année de décalage entre les différents taux.

Sur ce tableau, on constate que la RACJ n’a jamais manqué d’utiliser, à chaque année, l’IPC canadien de l’année précédente pour hausser le prix minimum de l’année en cours, et on voit aussi comment cette hausse s’est comparée à l’IPC du Québec… le tout se traduisant par une hausse réelle et véritable du prix minimum.

Donc, cela dénote qu’une hausse véritable du prix minimum s’est bel et bien produite.

Ensuite, nous poussons la simulation loin en imaginant que le gouvernement ait décrété, à partir de 2008, que l’IPC du Québec — et non celui du Canada — sera désormais pris en compte.

Au tableau suivant, vous apercevez le prix minimum de la bière aujourd’hui si l’IPC Québec était choisi comme base d’indexation (colonne en rouge) par rapport au prix établi historiquement (colonne en bleu) ainsi que la différence entre les deux (colonne en vert) et ce, pour les quatre catégories de prix minimum selon le taux d’alcool (on ne fait pas dans la dentelle chez DepQuébec!).

Advenant que depuis 10 ans, l’IPC Québec ait servi de base à l’indexation du prix minimum de la bière, celui-ci serait de 7,25 à 8,20 cents le litre moins élevé que ce qu’il est aujourd’hui, selon la teneur en alcool (cliquer sur le tableau pour le grossir).

Finalement, et c’est ainsi que nous arrivons au chiffre magique de 160 M$, nous nous sommes amusés à appliquer le différentiel moyen obtenu sur le nombre de litres de bière vendus chaque année au Québec, pour savoir finalement quel a été l’impact économique de cette hausse en terme de dépense accrue pour les consommateurs et revenus additionnels garantis pour l’industrie.

En appliquant la hausse moyenne cumulative obtenue chaque année sur le nombre de litres de bière vendus, nous en venons à la conclusion que le fait d’indexer le prix minimum à l’IPC canadien a signifié 160 M$ de revenus garantis de plus pour l’industrie au cours des 10 dernières années.

Alors, vous nous suivez toujours?

Maintenant, cet exercice a quand même des limites. Le montant de 160 M$ est en théorie exact mais n’a qu’un impact significatif si et seulement si toutes les ventes se feraient à prix minimum, ce qui n’est pas le cas.

On doit alors davantage parler d’un « plancher de ventes garanties » que de ventes réelles additionnelles obtenues.

Ceci étant dit, la conclusion générale est très claire quant au fait que d’avoir choisi l’IPC canadien s’est avéré à l’avantage de l’industrie et au détriment des consommateurs.

Mais ces derniers étant toutefois très gatés avec le prix minimum le plus bas au pays et la bière la moins chère qui soit, on voit qu’il s’agit d’un petit baume pour l’industrie, tout au plus.

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