EXCLUSIF — Un dépanneur accuse Québec d’inertie face à un retour en force de la contrebande de tabac

Propriétaire d’un dépanneur connu et réputé fondé par son grand-père et situé en plein quartier Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, Daniel Simard, propriétaire de la célèbre Biscuiterie Oscar, ne mâche pas ses mots.

À ses yeux, le problème de la contrebande de tabac persiste. Pire, il s’amplifie. Et tout cela, alors que politiciens, gouvernements et autorités estiment le problème largement réglé, se pètent les bretelles et s’en lavent les mains.

Reconnu comme un détaillant activiste qui souvent appelle, tangue et pousse dans le dos des associations de détaillants pour qu’ils accentuent la pression, il a accepté cette fois-ci de parler à visage découvert et de confier à DepQuébec le fond de sa pensée sur le sujet.

Véritable cri du coeur, voici l’entrevue faite vendredi dernier avec Daniel Simard, un propriétaire de dépanneur franc, honnête et courageux qui exprime tout haut ce que bien des dépanneurs pensent tout bas.


DepQuébec : Daniel Simard, merci de nous accorder cette entrevue.

La contrebande existe encore certes, mais vous conviendrez qu’elle a beaucoup diminué depuis 2008. On estime qu’elle est passée de 40% à seulement 15% aujourd’hui. Pour la plupart des politiciens, des médias et des gens en général, le problème est réglé en grande partie, entre autres avec des amendes très élevées. Mais c’est vrai qu’on voit encore beaucoup de saisies et d’arrestations. Êtes-vous d’accord avec cette analyse?

Daniel Simard : Oui, il s’est fait beaucoup de bonnes choses depuis 1994, année où les détaillants ont vendu des cigarettes sous la tente pour protester contre la contrebande. Les gouvernements ont réagi en baissant les taxes mais plusieurs années plus tard, ils se sont mis à les remonter.

En 2004, la contrebande a repris et les détaillants ont encore une fois sonné l’alarme au gouvernement : ils se sont mobilisés pour dire haut et fort : “hé, il y en a de la contrebande! Réveillez-vous!”

À un certain moment donné, pendant une dizaine d’années, il y a même eu une table de concertation avec les autorités, les détaillants et le gouvernement pour gérer le problème, mais tout cela a disparu.

Depuis 2004, les associations de détaillant ont fait leur travail et elles ont été écoutées par les députés et ministres : on a senti qu’il se passait des choses. Effectivement, on a adopté des lois plus sévères, on a haussé les amendes, il s’est passé des choses – beaucoup de bonnes choses.  Mais : il y a toujours eu un plancher de 10-15 % de contrebande de toléré, ça n’a jamais baissé en dessous de ce niveau.

Et puis, là, nous sommes en 2018 et je m’excuse, mais ce n’est plus 10-15 %, c’est devenu bien plus que ça. Moi je peux vous dire que depuis deux, trois ans, le niveau de contrebande augmente dangereusement.

Cette année, je suis en baisse de 15% par rapport à l’année précédente, qui était en baisse de 20% par rapport à l’année d’avant, qui était en baisse de 15% par rapport à l’autre année.

“Et là, c’est encore à nous, aux détaillants, de se lever et de demander au gouvernement de s’attaquer à ce problème là pour la énième fois.” – Daniel Simard

DepQuébec : Comment savez-vous que la contrebande est responsable de la baisse de vos ventes, et non pas d’autres facteurs comme une baisse du tabagisme ou encore, la popularité du vapotage?

Daniel Simard : Parce que je la vois! Elle est tout autour de nous.

J’ai un client l’autre jour qui est entré dans mon magasin pour acheter de la loterie et qui a jeté son paquet de cigarette indienne dans ma poubelle!

J’ai croisé une dame à l’entrée d’un magasin – une itinérante qui ouvre la porte du commerce pour mendier – et elle avait un paquet de cigarette indienne dans ses mains.

Et il n’y pas 15% de fumeurs de moins chaque année depuis trois ans, ce n’est pas vrai.

Au fil des années et malgré les nombreuses réglementations ajoutées comme l’interdiction de montrer les paquets de cigarette aux clients, le nombre de fumeurs a très peu baissé au Québec. De fait, en 2012, il était presque similaire à 2003 (1 646 282 fumeurs). Source : Cansim, Statistique Canada, Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC). Note : les dernières données disponibles remontent à 2014.

On se ramasse avec le même problème, on a encore de la contrebande, il y en a de plus en plus et nos ventes diminuent de façon considérable.

“Il n’y a pas 36 solutions : ça prend des interventions plus musclés de la part de la police et du gouvernement, point.” – Daniel Simard

DepQuébec : Justement, qu’est-ce que les gouvernements devraient faire de plus selon vous?

Daniel Simard : Les associations de détaillants ont sollicité les députés récemment, mais on sent qu’il n’y a plus d’écoute de la part du gouvernement. Je demande que le gouvernement et les autorités reprennent la situation en main et réduisent la contrebande tant au Québec qu’en Ontario.

Oui, je comprends que les autochtones ont des droits ancestraux de produire et consommer du tabac.

Mais la seule chose qui n’a pas été faite et qui doit être faite est de s’attaquer aux réseaux de distribution au Québec et en Ontario en commençant par cibler les véhicules qui sortent des réserves autochtones.

La seule chose qu’on n’a pas vu serait de médiatiser les arrestations policières aux abords des réserves, sur le territoire québécois et le territoire ontarien – pour montrer que c’est illégal et ainsi, mettre un stop à ça et restabiliser le marché.

“Voilà ce que je demande de faire aux policiers : des interventions médiatisées aux abords des réserves.” – Daniel Simard

DepQuébec : On sent bien que vous êtes exaspéré par la situation…

Daniel Simard : Les politiciens n’écoutent plus les fabricants, n’écoutent plus les associations, n’écoutent plus l’industrie.

Les petits détaillants sont laissés à eux-mêmes.

Et si l’emballage neutre arrive, la situation va être encore pire car il sera facile de copier les paquets légaux.

Pourtant, on vend un produit légal. On fait un bon travail au niveau du cartage et de la collection des taxes : je ne vois pas pourquoi on n’aurait pas plus d’appui de leur part.

DepQuébec : Il y a quand même beaucoup d’amendes et de saisies qui se font.

Daniel Simard : Il y a beaucoup de saisies du gouvernement, oui, et ils sont bien contents et bien fiers de montrer leurs saisies, mais on sait que plus ils en saisissent, plus il y en a.

S’ils en saisissent beaucoup, c’est sûr qu’il y en a beaucoup, voire encore plus.

“Encore une fois, nous les détaillants, on est encore les premiers à lever le drapeau et à leur dire quoi faire.” – Daniel Simard

Les saisies et arrestations pour contrebande de tabac se multiplient présentement partout au Québec: voir article ici sur le sujet.

DepQuébec : Que diriez-vous à Philippe Couillard s’il était devant vous?

Daniel Simard : Est-ce que c’est à nous, aux détaillants, d’appliquer les lois à la place de la police?

Est-ce que je devrais moi-même mettre en arrestation une personne en possession de contrebande?

“Qu’est-ce que vous attendez pour appliquer les lois?” – Daniel Simard

DepQuébec : En conclusion, pourquoi ce cri du coeur et pourquoi maintenant? Il est très rare qu’un propriétaire de dépanneur ose livrer le fond de sa pensée, comme vous le faites.

Daniel Simard :  Parce que je suis la troisième génération de Simard à la tête de la Biscuiterie Oscar.

Trois générations dans notre famille, et j’ai mon fils qui est intéressé à prendre la relève.

J’aimerais lui léguer, autant que possible, un environnement d’affaires juste et équitable où il pourra se battre à armes égales.

Et je suis quasiment content que le gouvernement ait décidé de légaliser le cannabis et de le vendre lui-même, car il va voir c’est quoi de faire face à un marché illégal fort.

“J’espère qu’ils va nous donner à nous, les détaillants, les mêmes moyens qu’ils vont sans doute se donner à eux-mêmes pour enlever le cannabis au crime organisé.” – Daniel Simard

DepQuébec : Daniel Simard, merci pour votre témoignage inspirant et courageux.

La Biscuiterie Oscar est située en plein quartier Hochelaga-Maisonneuve, à Montréal (à droite sur la photo: cliquez sur l’image et explorez les environs) 

 

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