Un juge acquitte une petite épicerie en traitant les inspecteurs du MSSS “d’agents provocateurs”

Un procureur, un inspecteur du MSSS et sa recrue mineure en ont pris pour leur rhume récemment quand ils sont tombés sur l’Honorable Jean-Georges Laliberté, juge de paix magistrat dans le district de Saint-Jérôme.

Outillés comme d’habitude avec la preuve d’une vente de tabac à un mineur, ces derniers tentaient de faire condamner le Marché Bellefeuille, une épicerie sous la bannière Marché Tradition de Sobeys qui en était à sa première infraction du genre.

Après avoir établi la diligence raisonnable de l’épicier comme étant correcte, le juge semble avoir avalé de travers tout ce qui touche au “motif raisonnable” de croire que la personne était majeure, soit le deuxième volet controversé de l’article 14 de la loi sur le tabac.

jean-georges lalibertéL’assurance que démontre l’agent provocateur lors de son achat, son allure générale et sa tenue vestimentaire laissent aisément croire qu’elle est majeure. (…) En examinant une photo déposée en preuve principale prise avant la visite de l’établissement, le Tribunal est aussi à même de confirmer ce constat. Cette personne semble sans doute avoir plus de 16 ans et pourrait, vraisemblablement, être dans la jeune vingtaine”, écrit le juge Jean-Georges Laliberté dans une décision qui fait un grand bien à lire.

Or, c’est non seulement rare de voir l’apparence de l’inspecteur mineur remise en cause par un tribunal, mais ce serait même la première fois que l’expression “agent provocateur” est utilisée par un juge pour une cause de cette nature.

Selon la définition courante, un agent provocateur est un agent sous couverture employé par les autorités afin d’entraîner ou de provoquer une autre personne à commettre un acte illégal!

Le juge reprend en outre cette terminologie lorsqu’il acquitte l’épicerie et ce, en ne ratant pas l’occasion de lancer un message cinglant à l’intention du MSSS:

“Le Tribunal estime que l’utilisation de personnes présentant de telles caractéristiques physiques dans le cadre de poursuites où l’âge des agents provocateurs est un facteur déterminant, sert mal les intérêts de la justice.” – Juge Jean-Georges Laliberté, décision du 6 sept. 2019

Il est permis à tous et chacun de prendre quelques secondes de sa vie pour savourer chacun des mots inscrits dans cette sentence superbe.

L’utilisation décapante du terme “agent provocateur” par le magistrat reflète possiblement son dédain envers les méthodes retenues par le MSSS mais aussi, nous le pensons, envers ce critère confus et douteux de “motif raisonnable de croire que la personne est majeure” qui est inscrit dans la loi envers et contre toute logique et au détriment des droits les plus fondamentaux des détaillants.

marché bellefeuille st-jérome
Dans une décision rendue en septembre 2019, le juge Jean-Georges Laliberté a qualifié “d’agent provocateur” l’inspectrice mineure recrutée par le MSSS pour vérifier la conformité de l’épicier à ne pas vendre aux mineurs.
Un motif raisonnable de quoi?

Lorsque la première vraie loi sur le tabac a été adoptée en 1998, on y a interdit la vente de tabac aux mineurs en ces termes :

“Article 14. Dans une poursuite intentée pour une contravention à l’article 13, l’exploitant du commerce n’encourt aucune peine s’il prouve qu’il a agi avec diligence raisonnable pour constater l’âge de la personne et qu’il avait un motif raisonnable de croire que celle-ci était majeure.”

Maintenant, posons-nous la question: quelle est la différence entre “constater l’âge d’une personne” et avoir un “motif raisonnable de croire qu’elle est majeure”? Franchement.

Si un détaillant constate que l’âge minimum d’un client est inférieur à 18 ans, il se doit de refuser la vente. Le fait de constater l’âge d’une personne est un critère largement suffisant pour appliquer la loi.

Mais non! Par excès de zèle, la loi exige EN PLUS que le détaillant ait un motif raisonnable de croire qu’elle est majeure. Qu’est-ce à dire?

En plus de devoir démontrer sa diligence raisonnable, cette disposition oblige à prouver en sus que le commis impliqué dans la transaction avait une raison de croire que le client avait 18 ans ou plus.

Mais prouver comment? En soulignant que le client a des rides? Des poches sous les yeux? Un cheveu blanc? Un gros nez?

Plusieurs estiment en fait que cette disposition oblige, indirectement, à appliquer une forme de cartage obligatoire, en forçant notamment les détaillants à investiguer tous leurs clients comme, par exemple, en leur posant une question directe (du genre : “Es-tu majeur?”).

Mais faire cela à tous les clients? Bien non, quand même pas ceux qui ont des cheveux blancs! Donc à qui? À ceux qui ont l’air mineur. Donc quoi qu’on fasse, on en revient toujours à la case départ, soit d’estimer l’âge avant tout.

inspectrice idéale msss
Voici l’agent provocateur idéal du MSSS : une mineure qui se donne l’assurance, la démarche et les traits d’une personne adulte pour mieux confondre le détaillant et réussir à le piéger malgré toutes ses précautions.
Un critère qui relève de la maladie mentale

Dans la vraie vie, ce critère superflu de “motif raisonnable” n’a aucune espèce de pertinence sinon qu’à harceler, terrasser, menacer et condamner les détaillants dans l’espoir de les décourager de vendre du tabac, un produit légal.

Voyez: la grande majorité des détaillants appliquent déjà comme politique fort raisonnable de carter tous les acheteurs de tabac qui ont l’air d’avoir 25 ans ou moins.

Donc l’employé qui vend du tabac juge que le client a au moins 26 ans. Pourquoi faudrait-il qu’il ait un motif raisonnable en sus? C’en est un en partant: il a l’air d’avoir 26 ans.

L’autre problème fondamental avec cette exigence est qu’elle repose uniquement sur les épaules du commis.

Or, dans la notion légale de diligence raisonnable, il est bien spécifié qu’un exploitant n’a pas une responsabilité absolue, mais bien relative face à ses employés.

S’il fait tout en son pouvoir pour qu’ils soient conformes à la loi mais qu’un de ses employés fait une erreur, il ne doit pas être tenu responsable.

Ce qui n’est pas le cas avec le critère superflu et zélé de “motif raisonnable” puisque si un employé n’en a pas, l’exploitant est en théorie trouvé coupable, peu importe les efforts diligents qu’il a fait. C’est injuste!

Autrement dit, si un employé se trompe, l’exploitant est responsable, quoi qu’il ait fait!

Certains juges ont appliqué cette interprétation littéralement (voir ici) tandis que d’autres, non, mais la plupart sont forcés de tenir compte du motif raisonnable dans leur jugement, d’une manière ou d’une autre.

Une exigence “épaisse” car facile à contourner

La mise en ligne récente par DepQuébec de la 1ère banque de jugements sur la vente de tabac aux mineurs nous a permis de revoir et de survoler l’évolution des tendances de jugement au cours des dernières années.

Pour ce qui est des exploitants brouillons et négligents, la loi fait très bien son travail puisque ces derniers n’ont en général aucune chance d’être acquittés.  Tous ceux qui se sont présentés mal préparés, avec peu ou pas de documentation ou qui se sont fiés sur leur pouvoir de séduction ou de conviction pour convaincre le tribunal se font fait manger tout rond, avec ou sans avocat.

Pour les autres qui, au contraire, font relativement bien les choses, ont des preuves à soumettre et sont capables de démontrer qu’ils encadrent bien leur personnel, offrent de la formation, des suivis et appliquent des sanctions, la partie demeure hélas loin d’être gagnée.

Trois grandes épreuves les guettent.

  • 1) Faire témoigner le commis fautif. C’est presque devenu une nécessité si on veut convaincre le tribunal que ce dernier avait un motif raisonnable de croire que le client était majeur. Or, tout dépendant de l’employé en question, cette expérience peut s’avérer très bonne ou très mauvaise, c’est selon.
  • 2) La supervision des employés. C’est le volet le plus difficile à démontrer et le plus délicat, tout dépendant du juge. Pour certains juges, laisser des employés travailler seul le soir est de la pure négligence tandis que d’autres se suffisent de quelques caméras de surveillance et de surveillance à distance. Chose certaine, plus le propriétaire sera documenté, plus grandes seront ses chances, d’où la création par DepQuébec de la solution de Prodep Diligence, entre autres pour combler cette difficulté.
  • 3) Le fameux motif raisonnable. Cela fait désormais partie de la stratégie des procureurs de miser sur cette disposition pour enligner les condamnations. Or, les détaillants s’ajustent et apprennent à la contourner. Malins, ils font de plus en plus appel à des considérations vagues et invérifiables d’attitude et de comportement pour établir leur motif raisonnable. Le client “avait de l’assurance”, il “parlait comme un adulte”, il “ne se comportait pas comme un mineur se serait comporté dans de telles circonstances”… toutes des allégations crédibles puisque l’inspecteur mineur, on le sait, joue une pièce de théâtre en étant pas un vrai client. Il est donc fort plausible qu’un commis, qui en voit passer des centaines par jour, ait pu facilement détecter l’odeur de la fraude.

Il demeure que cette exigence futile et toxique devrait être éliminée de la loi et ce, principalement parce que depuis son adoption en 1998, de nombreux jugements de tribunaux supérieurs sont venus avaliser le fait que la diligence raisonnable n’implique pas la perfection et le contrôle absolu des exploitants sur leurs employés.

On ne peut pas tenir un propriétaire diligent responsable parce qu’un employé fait une erreur envers et contre les directives données! Ça n’a aucun sens.

C’est pourtant bien l’agenda du MSSS, soit de tirer profit de la loi pour condamner le maximum de dépanneurs… un plan qui marche à merveille, sauf quand on tombe sur un juge comme l’Honorable Jean-Georges Laliberté, à qui nous levons notre chapeau et que nous saluons bien bas, avec le plus grand des respects face à un juriste éclairé et soucieux des droits fondamentaux des détaillants.

Un commentaire sur "Un juge acquitte une petite épicerie en traitant les inspecteurs du MSSS “d’agents provocateurs”"

  • 20 novembre 2019 à 14:32
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    Wow c’est quasiment trop beau pour être vrai, un juge avec du bon jugement et qui a compris que le MSSS fait de l’abus et créer des “trappe à ticket” dont en réalité dans un vrai contexte de vente que ça ne serait jamais arrivé. Bref j’espère que ce cas pourra faire office de “jurisprudence” pour les prochaines personnes qui auront à passer en court. Justement j’vais devoir débattre ma diligence raisonnable en 2020 pour mon employé qui a eu seulement 30 secondes d’inattention en 2 ans, et qui a fait une vente de 15$ pendant que je dormais. Je suis zéro responsable mais bien sûr c’est moi qui se ramasse avec le 3750$!

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