Livraison d’alcool: Québec avantage doublement les restaurateurs au détriment des dépanneurs

Les restaurateurs du Québec viennent de se voir accorder par le gouvernement une série de très importants assouplissements en matière de permis d’alcool.

Or, s’il faut se réjouir à juste titre pour ceux et celles qui ont souffert davantage de la Covid, ces nouveaux avantages exclusifs dont ils disposent désormais ont de quoi laisser songeur.

En effet, les plus récentes modifications réglementaires adoptées pas plus tard que la semaine dernière dans le cadre du projet de loi 72 sont certes un baume pour les quelque 20,000 restaurants du Québec mais viennent aussi, en même temps, transformer complètement et pour de bon l’équilibre fragile des forces établi depuis des décennies entre les différents réseaux de distribution d’alcool complémentaires à la SAQ, qu’il s’agisse des restaurants, des bars et des dépanneurs.

Et ce qu’on peut constater d’emblée est que tant face aux bars qu’aux dépanneurs et même vis-à-vis de la SAQ, les restaurateurs en sortent grands gagnants et de loin. Et qui dit gagnants d’un côté dit forcément perdants de l’autre puisque tout le monde se partage la même tarte!

S’il n’est pas évident de voir comment tout cela va retomber, on peut toutefois affirmer que déjà, des ajustements s’imposent, à commencer par permettre aux dépanneurs, eux aussi, de faire livrer de l’alcool par un tiers et ce, peu importe l’endroit sur le territoire.

Car sur quelle base peut-on permettre une chose aux uns mais pas aux autres, surtout quand il s’agit de compétiteurs?

dépanneur qui livre
Les restaurateurs viennent d’obtenir le droit de livrer des vins de la SAQ à leur clientèle en recourant à des tiers comme Uber Eats et DoorDash. Les dépanneurs, pour leur part, ne peuvent offrir des vins de la SAQ et pour ce qui est de la livraison, celle-ci doit être faite par chaque magasin et ce, dans leur territoire, sans pouvoir utiliser les services d’un tiers. Tout cela sachant que l’alcool compte pour 80% de la demande de livraison auprès des dépanneurs!
Un projet de loi généreux pour les restaurants

Fort d’une kyrielle de modifications techniques dont nous vous épargnons la liste, le projet de loi 72 a fait une belle place aux réformes sur la vente d’alcool par les restaurateurs frappés de plein fouet, il est vrai, par la crise sur la Covid.

On proposait notamment dans ce projet de loi trois nouveaux assouplissements qui, selon l’Association Restauration Québec, ont été une source de frustration depuis des lustres:

  • Pouvoir faire livrer de l’alcool à leur clientèle en passant par un tiers comme Uber Eats ou DoorDash;
  • Pouvoir vendre de l’alcool livré à un prix différent que celui affiché sur le menu de l’établissement;
  • Pouvoir servir de l’alcool sans nourriture dans l’établissement.

En raison du contexte de la pandémie, notamment, ces propositions ont soulevé très peu de résistance et ce, même de la part des ayatollahs de la santé publique, habituellement opposés à toute forme de liberté quelle qu’elle soit.

Ceci étant, les gains réalisés ici par le secteur de la restauration en matière de vente d’alcool vis-à-vis les canaux concurrentiels de distribution sont tellement considérables que leurs impacts dans le marché et même la culture populaire se feront sentir pour des années à venir.

vente alcool restaurant
Plus rien n’empêche dans les faits les restaurants de devenir des succursales déguisées de la SAQ, en continuant d’offrir des mets mais en misant résolument sur la livraison de vins à votre porte… une offre qui pourrait s’avérer bien plus lucrative que la vente et le service de repas! Tout cela risque de se faire au détriment des ventes en dépanneur.
Des distinctions de plus en plus confuses 

Ainsi, face à la SAQ, les restaurants gagnent le gros lot. Ils peuvent désormais livrer les mêmes vins via des services comme Uber Eats ou DoorDash (voir article récent à ce sujet ici) avec pour seule nuance de devoir offrir dans chaque commande au moins un aliment qui peut-être aussi insignifiant qu’un petit pain ou un oeuf à la coque.

Ces vins de la SAQ pourront ainsi être livrés en aussi peu que 30 minutes à votre porte (si vous habitez en zone urbaine notamment) contrairement à la SAQ qui requiert facilement quatre ou cinq jours minimum pour la moindre petite commande. Quel avantage concurrentiel!

Vis-à-vis des bars, les restaurants gagnent gros aussi. Ils obtiennent le droit, tout comme eux, de servir de l’alcool sans repas. Autrement dit, ils deviennent comme des bars à la différence près que dans leur cas, ils peuvent accepter les mineurs dans leur enceinte alors que les bars se doivent de les refuser! Qui dit mieux?

Enfin, face aux dépanneurs, on a su les neutraliser. Ces derniers demeurent contraints, comme toujours, à vendre des vins embouteillés au Québec, une obligation dont le lobby de cette industrie s’assure nuit et jour qu’elle sera maintenue à l’infini. Mais alors que les restaurants gagnent le privilège de faire livrer leur alcool par des tiers, ce privilège est refusé aux dépanneurs.

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir demandé, chose dont s’est assurée le Conseil canadien de l’industrie des dépanneurs (CCID). Seul représentant de l’industrie du détail à être intervenu dans ce dossier et à avoir déposé un mémoire, il a spéciquement demandé aux élus d’accorder les mêmes privilèges de livraison aux dépanneurs que ceux offerts sur un plateau d’argent aux restaurateurs et ce, par souci d’équité dans le marché.

«Le CCID demande d’étendre ces nouvelles dispositions afin que les dépanneurs puissent également ajouter la vente de produits alcoolisés à une livraison d’autres produits effectués par des tierces parties. Actuellement, la livraison d’alcool est permise par les dépanneurs uniquement si elle est effectuée par des employés. Dans la réalité cependant, très peu de dépanneurs se prévalent de cette possibilité. En effet, les équipes étant plus restreintes, il est souvent simplement impossible qu’un employé puisse quitter le commerce pour effectuer de la livraison, et le volume de commandes ne justifierait probablement pas l’embauche d’une ressource supplémentaire à temps plein pour effectuer de la livraison.  » — Michel Gadbois, VP Québec, mémoire de la CCID, 11 novembre 2020

On a manqué le train 

Or, il semble bien que la demande faite en bonne et due forme par le CCID n’ait pas été entendue. Vérification faite auprès de la RACJ, les assouplissements consentis aux restaurants ne s’appliquent pas aux détenteurs de permis d’épicerie. De fait, rien dans le projet de loi 72 ne les concerne vraiment, TOUT ou presque est centré sur les permis de restaurants. La seule petite modification qui les touche est que les microbrasseries pourront maintenant vendre leur production directement en épicerie.

Pour ce qui est des supermarchés, la livraison par un tiers n’est pas un enjeu puisque ces derniers ont assez de volume en général pour se permettre la mise sur pied d’un service de livraison interne. C’est vraiment pour les dépanneurs que cette mesure a le plus d’importance.

Mais pour y arriver, un changement législatif est absolument nécessaire, ce qui est en soi bien plus complexe qu’un simple changement de réglement. En effet, c’est à l’article 93 et 94 de la Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques qu’on retrouve l’obligation par les dépanneurs de livrer l’alcool par eux-mêmes.

Le titulaire d’un permis d’épicerie peut effectuer lui-même ce transport (d’alcool) à condition que ce soit sur le territoire municipal local où est situé le magasin ou sur un territoire municipal contigu où un règlement de prohibition n’est pas en vigueur. — article 94 de la Loi

Pour permettre la livraison d’alcool par des tiers de la part des détenteurs de permis d’épicerie, il faut que cela soit spéciquement mentionné dans la loi comme ce l’est maintenant pour les restaurants.

Le permis de restaurant autorise son titulaire à déléguer à un tiers les activités de livraison autorisées par son permis en vertu de l’article 27. — Projet de loi 72

Il est difficile de comprendre ici pourquoi le gouvernement n’a pas offert également cet avantage aux titulaires de permis d’épicerie, d’autant plus que ces derniers sont désavantagés en partant vis-à-vis les restaurants en ne pouvant offrir comme eux la vaste sélection de vins de la SAQ. Québec n’avait qu’à modifier simplement son projet de loi ainsi : “Les permis de restaurant et d’épicerie autorisent leurs titulaires…” et le tour était joué.

Ces quelques mots manquants auront un impact énorme, voire incalculable dans les années à venir car désormais, toute livraison d’alcool sera possible en quelques minutes de chez soi mais seuls les restaurateurs et seulement eux pourront en tirer profit!

Où est l’équité à tout donner aux uns et rien aux autres? Non vraiment, il faut le gouvernement réalise son erreur et comble rapidement cette lacune.

On ne voit pas comment à court terme mais il en va de l’avenir du commerce de proximité, un service essentiel selon le gouvernement, faut-il le rappeler!

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