EXCLUSIF: La fin du motif raisonnable et l’obligation du masque plombent les inspections du MSSS

Cela fait au moins 15 ans que les dépanneurs et autres détaillants de tabac au Québec voient venir l’été avec une bonne dose de stress et d’appréhension.

C’est durant la belle saison en effet que le MSSS choisit de mener la quasi-totalité de ses 5,000 inspections pièges annuelles visant à tester leur conformité à ne pas vendre aux mineurs.

Entre la Saint-Jean-Baptiste et la fête du travail, une armée d’inspecteurs mineurs sous les ordres du MSSS font la tournée des commerces de tabac pour tenter de se procurer le produit et, le cas échéant, mettre à l’amende ou poursuivre devant les tribunaux tant le commis qui leur a vendu que le propriétaire du commerce.

Or, l’été 2020 s’annonce comme l’un des plus cléments pour ce qui est du taux anticipé de condamnation des dépanneurs.

Pourquoi? Parce que non seulement les commis n’ont plus désormais besoin d’un « motif raisonnable » pour vendre du tabac aux clients mais en plus, les inspecteurs sont maintenant obligés d’être masqués et ce, depuis le 18 juillet dernier.

Et comment diable fera le MSSS pour faire condamner un dépanneur qui aura vendu du tabac à un inspecteur… masqué?

Il n’y a certes rien d’impossible en ce bas monde mais disons que la côte pour convaincre un juge sera plus abrupte!

cartage masqué
La première pièce à conviction dans un procès pour vente de tabac à un mineur est la photo de l’inspecteur mineur pour montrer qu’il a bel et bien l’air d’être mineur. Or, avec un masque qui lui couvre les trois-quarts du visage, cette démonstration n’est pas des plus évidentes en partant.
Fin du motif raisonnable: une grande victoire pour les dépanneurs

Mis à part la question des masques, un grand déblocage est survenu en mars dernier en faveur des détaillants et dont personne n’a entendu parler.

En effet, depuis une dizaine d’années, les procureurs du MSSS chargés d’affronter les dépanneurs en cour ne se contentaient plus de questionner leur diligence raisonnable. Ils invoquaient en plus le fait que leur commis n’avait pas de motif raisonnable pour vendre à un mineur, tel que l’exige littéralement le second volet de l’article 14 de la loi.

« Dans une poursuite intentée (…), le défendeur n’encourt aucune peine s’il prouve qu’il a agi avec diligence raisonnable pour constater l’âge de la personne et qu’il avait un motif raisonnable de croire que celle-ci était majeure. » – Article 14 de la loi concernant la lutte au tabagisme

Normalement, si l’on se fie à la jurisprudence, un employeur peut-être tenu responsable des gestes de ses employés dans la mesure où il a manqué à sa diligence raisonnable en ne prenant pas toutes les précautions nécessaires pour éviter une infraction (ex: formation, surveillance, sanctions et autres).

Mais voilà que le MSSS ne l’entendait plus ainsi. Même si un propriétaire avait été reconnu comme diligent, les procureurs exigeaient en plus la preuve que son commis avait un « motif raisonnable » de croire que le client était majeur.

Par exemple, avait-il posé une question au client avant de lui vendre? Examiné sa carte? Noté un détail particulier? Si rien de cela n’était établi, le détaillant devait être jugé coupable, point à la ligne.

Or, cet argument est profondément injuste car cela signifie qu’un détaillant soucieux, responsable et diligent pouvait se voir condamné peu importe ses efforts méritoires à prévenir la vente aux mineurs (voir à cet effet l’article suivant).

mineures ou majeures
Un motif raisonnable nécessite une information précise lors de la vente, comme par exemple une question, un trait particulier, une carte d’identité, la voix, un comportement ou autre. Cela exigeait que le commis témoigne ce qui est souvent impossible car les procès se déroulent souvent près de deux ans après l’événement.

Dans l’éventualité où un commis n’avait pas de motif raisonnable à invoquer pour avoir vendu du tabac à un inspecteur mystère (ex: par distraction) ou encore, que le détaillant s’avérait incapable de le faire témoigner en cour, ce dernier se voyait presque automatiquement condamné même s’il n’y était pour rien.

Pour le MSSS en revanche, qui se moque de l’équité et de la justice envers les détaillants, ce petit morceau de loi mal écrit était un vrai bijou lui permettant d’en condamner davantage.

Sauf que bien entendu, à la longue plusieurs s’y sont farouchement opposés en faisant appel de tels jugements, dont notamment les grandes chaînes comme Couche-Tard et Harnois.

Des défaites non contestées

Face à deux défaites successives en Cour supérieure survenues en début d’année, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a finalement décidé, contre toute attente et contre la volonté du MSSS, de lancer la serviette en ne faisant pas appel des causes perdues (voir article ici).

Selon Me Marc-André Bergeron du cabinet d’avocats DEVEAU, cette décision du DPCP enlève bel et bien une grosse pression sur les épaules des dépanneurs.

me marc-andré bergeron« C’est un allègement d’une part car on leur imposait un fardeau à toutes fins pratiques insurmontable avec une interprétation du second volet de l’article 14 de la Loi qui ne tenait tout simplement pas la route en droit. D’autre part, un soulagement et un retour à l’équilibre des forces du point de vue de la justice par le rappel du droit fondamental de présenter une défense de diligence raisonnable dans le cadre d’infractions à la Loi qui demeurent de responsabilité stricte. » — Me Marc-André Bergeron, DEVEAU avocats à DepQuébec

Cela signifie que plus jamais, le gouvernement ne plaidera en cour cet argument du « motif raisonnable du commis » contre les dépanneurs.

Et alors que deux ans plus tôt, le MSSS invitait les détaillants « à démontrer qu’ils ont satisfait les deux critères de l’article 14 », il s’est montré cette fois-ci beaucoup plus circonspect en réaction à cette décision.

« Nous n’avons pas de commentaire à émettre à ce sujet.  Il appartient au DPCP de juger du droit et de l’opportunité de porter une décision en appel ou non. » –  Marie-Claude Lacasse, porte-parole MSSS à DepQuébec

Encore des inspections, mais avec plus de chances de gagner

Dans les cas de vente à des inspecteurs mineurs masqués, le critère du motif raisonnable aurait sans doute pris beaucoup d’importance.

Pour compenser le fait que le visage est caché à 80%, le DPCP aurait argumenté chaque vente en demandant quel motif permettait au commis de croire que le client était majeur.

Les dépanneurs seraient tous passés à la moulinette mais voilà, cette poignée n’existe plus.

Et non seulement elle n’existe plus, mais les inspecteurs doivent cacher leur visage.

Autrement dit, les inspections mystères, dans un tel contexte, seront-elles mêmes efficaces? Vont-elles donner quelque résultat? Chaque procès sera un défi.

Aussi, il est peut-être temps de se tourner vers d’autres moyens moins agressifs pour renforcer la conformité des détaillants.

Mais en attendant, les dépanneurs peuvent se réjouir d’être enfin traités plus justement et équitablement, à force de défendre leurs droits et leur cause auprès des tribunaux.

Sans baisser la garde, bien entendu!

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