Richard Guénard : pionnier du cartage obligatoire

Les propriétaires de dépanneur qui sont poursuivis pour vente de tabac aux mineurs doivent souvent traverser une épreuve difficile sur le plan personnel.

La lenteur des procédures fait en sorte qu’il peut s’écouler un à deux ans avant que la cause soit entendue. La préparation requise demande également beaucoup de travail et il faut, dans bien des cas, payer un avocat.

Mais le plus stressant est l’incertitude. D’y penser constamment, de remuer sans cesse les arguments dans sa tête, semaine après semaine, peut s’avérer invivable pour plusieurs.

Richard Guénard est passé par là une fois et ce fut une fois de trop. Il s’est bien juré depuis qu’on ne l’y reprendrait plus.

« Je n’ai pas les moyens d’être suspendu »

Si vous passez un jour par Roberval, vous trouverez au détour de la rue Lévesque un sympathique dépanneur sans prétention en plein cœur de la circonscription du premier ministre Philippe Couillard, le dépanneur Chez Ricky. En vous y arrêtant, vous apercevrez sans doute Richard Guénard affairé derrière son comptoir, avec son employée ou encore, en train de passer des commandes à un rythme toujours trépidant. Car il en vient du monde dans son dépanneur!

Toujours enjoué, actif et sur une patte, Richard est un propriétaire indépendant affilié à la bannière Sagamie du Groupe Saga. Son dépanneur est parmi les plus petits de la gamme, soit moins de 2 000 pieds carrés d’espace, mais il est très achalandé. De fait, son principal vendeur est le tabac. Une majorité de 60 % de ses revenus proviennent de cette catégorie dans laquelle il se montre agressif sur le plan des prix, ce qui lui assure un volume supérieur.

L’importance stratégique de cette catégorie pour son commerce fait en sorte que si Richard se voyait retirer le droit de vente du tabac, ne serait-ce qu’un mois, son gagne-pain serait en péril. Car qui peut prédire, après un mois de suspension, si les clients vont revenir, sans compter le manque de revenus durant toute cette période!

La crainte de sa vie

Or, début 2014, Richard est catastrophé. Il reçoit un avis d’infraction pour une vente aux mineurs effectuée par son employée. À l’époque, une simple infraction donnait automatiquement lieu à une suspension d’un mois. L’enjeu est donc trop important : il doit se défendre et plaider non coupable.

Dans ce type de cause en général, la preuve est admise d’emblée par les deux parties. L’enjeu pour la défense n’est pas de contester la preuve, mais bien de démontrer hors de tout doute raisonnable que l’employeur a fait preuve de « diligence raisonnable » en faisant tout ce qui est humainement possible de faire pour empêcher un tel accident de se produire.

Pour se défendre, il doit pouvoir démontrer de manière convaincante l’ensemble des mesures de prévention utilisées, dont la formation et l’encadrement de son employée. Or, il avait heureusement fait signer à celle-ci, avant l’incident, un formulaire d’engagement clair et formel à l’effet qu’elle avait bien compris la règlementation concernant la vente aux mineurs et qu’elle s’engageait à toujours exiger les cartes d’identité en cas de doute et à ne pas vendre du tabac aux mineurs.

Le jour même de l’audition de la cause, l’avocat de Richard montre au procureur les dits documents. Par chance, cela a suffi pour le convaincre d’abandonner les charges!

« Heureusement, j’ai contesté et j’ai gagné. Il a toutefois fallu que j’attende près d’un an avant de passer devant un juge. Pendant ce temps, je ne pensais qu’à ça. Je risquais de perdre le droit de vendre du tabac pendant un mois. C’est énorme pour un commerce comme le mien », de lancer Richard Guénard.

Cartage obligatoire ou rien

Richard a bien appris sa leçon et décidé qu’on le reprendrait plus. Le dilemme des propriétaires, bien sûr, est d’avoir à se fier à des tiers, en l’occurrence leurs employés, pour ne pas se retrouver devant les tribunaux. Décidant de prendre le taureau par les cornes, Richard adopte une directive claire : carter tous les clients pour toute vente de tabac, quelle que soit leur apparence et peu importe qu’on les connaisse ou non. L’employé n’a plus de marge de manœuvre : c’est clair et net. Tout le monde est carté, point.

Pour ne rien laisser au hasard, Richard se dote en plus du système automatisé de cartage développé par Sagamie. Installé à même la caisse enregistreuse, ce système détecte si, dans une transaction, il se trouve du tabac et, le cas échéant, exige d’entrer une date de naissance dans le système pour finaliser la transaction. Ainsi, il est impossible de vendre par mégarde du tabac parmi d’autres items sans réaliser qu’il fallait carter.

Ainsi armé pour la guerre, Richard met en application sa nouvelle politique avec beaucoup de volonté et non sans rencontrer une certaine résistance de sa clientèle. Bien qu’il soit arrivé à quelques reprises que des clients décident d’aller ailleurs, la vaste majorité ont dit bien comprendre sa situation et compatir pour l’épée de Damoclès qui lui pend au-dessus de la tête advenant une vente aux mineurs. Ils se font alors un plaisir, souvent avec le sourire, de montrer leur carte fois après fois, ce qui peut même sembler flatteur pour les clients plus âgés.

Prenant fait et gestes pour lui, l’Association des dépanneurs en alimentation du Québec (AQDA) a même lancé, à l’automne 2015, une campagne temporaire d’implantation du cartage obligatoire à Roberval dans laquelle tous les détaillants ont embarqué.

« Aujourd’hui, je dors sur mes deux oreilles. Qu’on m’inspecte ou non, je suis confiant à 100 % d’être conforme. Je suis conscient que cette approche est assez radicale, mais il faut ce qu’il faut. Dans mon cas, ça me convient parfaitement », de lancer Richard Guénard.

Sans aller aussi loin que le dépanneur Chez Ricky, les détaillants en général n’ont d’autre choix que de s’orienter dans cette direction. Avec des amendes pour vente aux mineurs qui peuvent maintenant atteindre jusqu’à 125 000 $ pour une deuxième infraction, la marge d’erreur est devenue aussi mince qu’une pelure d’oignon. Et c’est meilleur pour les nerfs aussi! Parlez-en en Richard.

Crédits : Louis Jacob, photo et Laura Lévesque, Le Quotidien, pour la citation

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